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LIII
SUR PIERRE CORNEILLE.

et surtout de dire à Louis XIV, en lui présentant sa traduction, « qu’elle n’égaloit point l’original du jeune jésuite, qu’il lui nomma[1]. » Avant et après cette traduction, Corneille composa encore d’autres vers sur les campagnes du Roi et des imitations de pièces latines de Santeul. En 1670, il publia son Office de la sainte Vierge, dédié à la Reine, et accompagné d’une Approbation datée d’octobre 1669.

Nous avons eu occasion d’indiquer tout à l’heure combien la renommée naissante de Racine portait ombrage à Corneille, et déjà nous avions dit ailleurs quelle impatience lui causaient les plus innocentes malices de son jeune rival[2]. Soumettre deux poëtes si différents d’âge, de talent, de caractère, à un véritable concours semblait impossible. Henriette d’Angleterre y parvint pourtant, et Corneille, qui avait imprudemment accepté un sujet auquel ses qualités ne convenaient point, donna

  1. Voyez tome X, p. 193.
  2. Voyez ci-dessus, p. lii, et tome III, p. 107, note 2. — La plupart des témoignages contemporains établissent que Corneille était exempt de toute envie, mais que, de fort bonne foi, il n’appréciait pas à sa valeur le talent de Racine. Valincourt dit, en parlant de ce poëte, dans une lettre adressée à l’abbé d’Olivet : « qu’étant allé lire au grand Corneille la seconde de ses tragédies, qui est Alexandre, Corneille lui donna beaucoup de louanges, mais en même temps lui conseilla de s’appliquer à tout autre genre de poésie qu’au dramatique, l’assurant qu’il n’y étoit pas propre. Corneille étoit incapable d’une basse jalousie : s’il parloit ainsi à Racine, c’est qu’il pensoit ainsi ; mais vous savez qu’il préféroit Lucain à Virgile. » (Histoire de l’Académie françoise, édition de M. Livet, tome II, p. 336.) Il était particulièrement blessé du défaut d’exactitude historique qu’il remarquait dans certains ouvrages de Racine : « Étant une fois près de Corneille sur le théâtre, à une représentation de Bajazet, il me dit : « Je me garderols bien de le dire à d’autre que vous, parce qu’on diroit que j’en parlerois par jalousie ; mais prenez-y garde, il n’y a pas un seul personnage dans le Bajazet qui ait les sentiments qu’il doit avoir, et que l’on a à Constantinople : ils ont tous, sous un habit turc, le sentiment qu’on a au milieu de la France. » Il avoit raison, et l’on ne voit pas cela dans Corneille : le Romain y parle comme un Romain, le Grec comme un Grec, l’Indien comme un Indien, et l’Espagnol comme un Espagnol. » (Mémoires anecdotes de Segrais, tome II des Œuvres, 1755, p. 43.)