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LI
SUR PIERRE CORNEILLE.

terruption, quand ils exigeoient de moi des louanges que ma conscience ne pouvoit donner[1]. »

Au mois d’août 1664, Othon eut à son tour un remarquable succès. Puis un an se passe sans que Corneille fasse rien paraître de nouveau. Le 19 juillet 1665, il obtient un privilège pour une traduction des Louanges de la sainte Vierge attribuées à saint Bonaventure, et la publie à ses frais le 11 août, chez Gabriel Quinet. « Si ce coup d’essai ne déplaît pas, dit le poète dans l’avis Au lecteur, il m’enhardira à donner de temps en temps au public des ouvrages de cette nature ; » et il ajoute, avec un regret sincère, il faut le croire, mais que peut-être on aura quelque peine à regarder comme très-profond : « Ce n’est pas sans beaucoup de confusion que je me sens un esprit si fécond pour les choses du monde, et si stérile pour celles de Dieu[2]. »

Jusqu’alors Corneille, quoique sans cesse exposé aux traits de l’envie et engagé parfois dans les luttes littéraires les plus animées, avait été un poète heureux : de prompts succès avaient balancé ses chutes, et il avait été l’objet des hommages les plus flatteurs. « Tout Paris, dit Perrault dans ses Hommes illustres, a vu un cabinet de pierres de rapport fait à Florence, et dont on avoit fait présent au cardinal Mazarin, où entre les divers ornements dont il est enrichi, on avoit mis aux quatre coins les médailles ou portraits des quatre plus grands poëtes qui aient jamais paru dans le monde : savoir Homère, Virgile, le Tasse et Corneille. On ne peut pas croire qu’il entrât de la flatterie dans ce choix, et qu’il n’ait été fait par la voix publique, non-seulement de la France, mais de l’Italie même, assez avare de pareils éloges. Cette espèce d’honneur n’est pas ordinaire, et peu de gens en ont joui, comme M. Corneille, pendant leur vie… Il seroit malaisé d’exprimer les applaudissements que ses ouvrages reçurent. La moitié du temps qu’on donnoit aux spectacles s’employoit en des exclamations qui se faisoient de temps en temps aux plus beaux endroits, et lorsque par hasard il paroissoit lui-même sur le théâtre, la

  1. Seconde Dissertation…, sur… Sertorius. Recueil de Granet, tome I, p. 285.
  2. Tome IX, p. 6.