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LA VEUVE.

Et ce nouveau dessein d’un autre mariage,
Pour être fait sur l’heure, et tout nonchalamment,
1370Est conduit, ce me semble, assez accortement[1].
Qu’il en sait de moyens ! qu’il a ses raisons prêtes !
Et qu’il trouve à l’instant de prétextes honnêtes
Pour ne point rapprocher[2] de son premier amour !
Plus j’y porte la vue, et moins j’y vois de jour[3].
1375M’auroit-il bien caché le fond de sa pensée ?
Oui, sans doute, Clarice a son âme blessée ;
Il se venge en parole, et s’oblige en effet.
On ne le voit que trop, rien ne le satisfait[4] :
Quand on lui rend Doris, il s’aigrit davantage.
1380Te jouerois, à ce compte, un joli personnage !
Il s’en faut éclaircir. Alcidon ruse en vain.
Tandis que le succès est encore en ma main :
Si mon soupçon est vrai, je lui ferai connoître
Que je ne suis pas homme à seconder un traître[5].
1385Ce n’est point avec moi qu’il faut faire le fin[6],
Et qui me veut duper en doit craindre la fin.
Il ne vouloit que moi pour lui servir d’escorte,
Et si je ne me trompe, il n’ouvrit point la porte ;
Nous étions attendus, on secondoit nos coups :
1390La nourrice parut en même temps que nous,
Et se pâma soudain avec tant de justesse,
Que cette pâmoison nous livra sa maîtresse.
Qui lui pourroit un peu tirer les vers du nez,
Que nous verrions demain des gens bien étonnés !

  1. Var. Ne me semble conduit que trop accortement. (1634-57)
  2. L’édition de 1682 porte t’approcher ; qui ne donne point de signification raisonnable ; la leçon que nous avons suivie (rapprocher, dans le sens neutre, pour se rapprocher) se trouve dans toutes les autres impressions.
  3. Var. Quant à moi, plus j’y songe, et moins j’y vois de jour. (1634-57)
  4. Var. Cela se juge à l’œil, rien ne le satisfait. (1634-57)
  5. Var. Que je ne fus jamais homme à servir un traître. (1634-57)
  6. Var. Ce n’est pas avec moi qu’il faut faire le fin. (1634-60)