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ACTE I, SCÈNE III.

190De lui pouvoir fournir un entretien sortable,
Il m’épargna si bien, que ses plus longs propos
À peine en plus d’une heure étoient de quatre mots[1] ;
Il me mena danser deux fois sans me rien dire.

CHRYSANTE.

Mais ensuite[2] ?

DORIS.

Mais ensuite__?La suite est digne qu’on l’admire[3].
195Mon baladin muet se retranche en un coin,
Pour faire mieux jouer la prunelle de loin ;
Après m’avoir de là longtemps considérée,
Après m’avoir des yeux mille fois mesurée,
Il m’aborde en tremblant, avec ce compliment :
200« Vous m’attirez à vous ainsi que fait l’aimant. »
(Il pensoit m’avoir dit le meilleur mot du monde.)
Entendant ce haut style, aussitôt je seconde.
Et réponds brusquement, sans beaucoup m’émouvoir :
« Vous êtes donc de fer, à ce que je puis voir. »
205Ce grand mot étouffa tout ce qu’il vouloit dire[4],
Et pour toute réplique il se mit à sourire.
Depuis il s’avisa de me serrer les doigts ;
Et retrouvant un peu l’usage de la voix,
Il prit un de mes gants : « La mode en est nouvelle.
210Me dit-il, et jamais je n’en vis de si belle ;
Vous portez sur la gorge un mouchoir fort carré[5] ;

  1. Var. À grand’pelne en une heure étoient de quatre mots. (1634-57)
  2. Var. chrys. Oui, mais après ? dor. Après ? C’est bien le mot pour rire.
    Mon baladin muet se retire en un coin,
    Content de m’envoyer des œillades de loin ;
    Enfin, après m’avoir longtemps considérée,
    Après m’avoir de l’œil mille fois mesurée. (1634-57)
  3. Var. Le reste est digne qu’on l’admire. (1660-64)
  4. Var. Après cette réponse, il eut don de silence,
    Surpris, comme je crois, par quelque défaillance.
    [Depuis il s’avisa de me serrer les doigts.] (1634-57)
  5. Var. Vous portez sur le sein un mouchoir fort carré. (1634-57)