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LA VEUVE.

Cependant continue à caresser Doris ;
125Que son frère, ébloui par cette accorte feinte[1],
De nos prétentions n’ait ni soupçon ni crainte[2].

ALCIDON.

À m’en ouïr conter, l’amour de Céladon[3]
N’eut jamais rien d’égal à celui d’Alcidon :
Tu rirois trop de voir comme je la cajole.

LA NOURRICE.

130Et la dupe qu’elle est croit tout sur ta parole ?

ALCIDON.

Cette jeune étourdie est si folle de moi,
Quelle prend chaque mot pour article de foi ;
Et son frère, pipé du fard de mon langage.
Qui croit que je soupire après son mariage,
135Pensant bien m’obliger, m’en parle tous les jours ;
Mais quand il en vient là, je sais bien mes détours ;
Tantôt, vu l’amitié qui tous deux nous assemble,
J’attendrai son hymen pour être heureux ensemble ;
Tantôt il faut du temps pour le consentement
140D’un oncle dont j’espère un haut avancement[4] ;
Tantôt je sais trouver quelque autre bagatelle.

LA NOURRICE.

Séparons-nous, de peur qu’il entrât en cervelle[5],
S’il avoit découvert un si long entretien.
Joue aussi bien ton jeu que je jouerai le mien.

ALCIDON.

145Nourrice, ce n’est pas ainsi qu’on se sépare.

LA NOURRICE.

Monsieur, vous me jugez d’un naturel avare.

  1. Var. Qui, son frère ébloui par cette accorte feinte. (1663 et 64)
  2. Var. De ce que nous brassons n’ait ni soupçon, ni crainte. (1634)
  3. Quand Corneille écrivait la Veuve, il y avait une vingtaine d’années qu’avait paru le roman où figure ce modèle des amants : c’est en 1610 que d’Urfé a publié la première partie de l’Astrée.
  4. Var. D’un oncle dont j’espère un bon avancement. (1634-57)
  5. Voyez plus haut, p. 192, note 2.