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ACTE IV, SCÈNE VII.

Scène VII.

CLITANDRE.

Va, tigre ! va, cruel, barbare, impitoyable[1] !
Ce noir cachot n’a rien tant que toi d’effroyable.
Va, porte aux criminels tes regards, dont l’horreur
Peut seule aux innocents imprimer la terreur[2] :
1225Ton visage déjà commençoit mon supplice ;
Et mon injuste sort, dont tu te fais complice,
Ne t’envovoit ici que pour m’épouvanter.
Ne t’envoyoit ici qie pour me tourmenter.
Cependant, malheureux, à qui me dois-je prendre
1230D’une accusation que je ne puis comprendre ?
A-t-on rien vu jamais, a-t-on rien vu de tel ?
Mes gens assassinés me rendent criminel ;
L’auteur du coup s’en vante, et l’on m’en calomnie ;
On le comble d’honneur et moi d’ignominie ;
1235L’échafaud qu’on m’apprête au sortir de prison,
C’est par où de ce meurtre on me fait la raison.
Mais leur déguisement d’autre côté m’étonne :
Jamais un bon dessein ne déguisa personne ;
Leur masque les condamne, et mon seing contrefait,
1240M’imputant un cartel, me charge d’un forfait.
Mon jugement s’aveugle, et, ce que je déplore,
Je me sens bien trahi, mais par qui ? je l’ignore ;
Et mon esprit troublé, dans ce confus rapport,
Ne voit rien de certain que ma honteuse mort.
1245Traître, qui que tu sois, rival, ou domestique,

  1. Var. Va, tigre ! va, cruel, barbare impitoyable (a) ! (1652-57)
    (a). Les éditions indiquées n’ont point de virgule entre les deux derniers mots du vers.
  2. Var. Seule aux cœurs innocents imprime la terreur, (1632-57)