Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
CLITANDRE.

Promet tout ce qu’il ose à son premier transport ;
Mais comme il n’a pour lui que sa seule impuissance,
950À force de grossir il meurt en sa naissance ;
Ou s’étouffant soi-même, à la fin ne produit
Que point ou peu d’effet après beaucoup de bruit.

DORISE.

Va, va, ne prétends pas que le mien s’adoucisse[1] :
Il faut que ma fureur ou l’enfer te punisse ;
955Le reste des humains ne sauroit inventer
De gêne qui te puisse à mon gré tourmenter[2].
Si tu ne crains mes bras, crains de meilleures armes ;
Crains tout ce que le ciel m’a départi de charmes :
Tu sais quelle est leur force, et ton cœur la ressent ;
960Crains qu’elle ne m’assure un vengeur plus puissant.
Ce courroux, dont tu ris, en fera la conquête
De quiconque à ma haine exposera ta tête,
De quiconque mettra ma vengeance en mon choix[3].
Adieu : j’en perds le temps à crier dans ce bois[4] ;
965Mais tu verras bientôt si je vaux quelque chose, 965
Et si ma rage en vain se promet ce qu’elle ose.

PYMANTE.

J’aime tant cette ardeur à me faire périr,
Que je veux bien moi-même avec vous y courir.


    Qui s’échappe sur l’heure et jette son venin,
    Comme il est animé de la seule impuissance,
    À force de grossir, se crève en sa naissance. (1632-57)

  1. Var. Traître, ne prétends pas que le mien s’adoucisse. (1632-57)
  2. Voyez au Complément des variantes, p. 365.
  3. Dans ce passage, qui paraît pour la première fois en 1660, Dorise exprime la même confiance qu’Émilie :
    Et si pour me gagner il faut trahir ton maître,
    Mille autres à l’envi recevroient cette loi.
    S’ils pouvoient m’acquérir à même prix que toi.
    (Cinna, acte III, sc. iv.)
    Si j’ai séduit Cinna, j’en séduirai bien d’autres.
    (Ibid., acte V, sc. ii.)
  4. Var. Adieu : j’en perds le temps à crier dans ces bois. (1660-64)