Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
290
CLITANDRE.

240De celui que sa fuite a sauvé de ma main.
Trop indigne rival, crois-tu que ton absence
Donne à tes lâchetés quelque ombre d’innocence,
Et qu’après avoir vu renverser ton dessein,
Un désaveu démente et tes gens et ton seing ?
245Ne le présume pas ; sans autre conjecture,
Je te rends convaincu de ta seule écriture,
Sitôt que j’aurai pu faire ma plainte au Roi.
Mais quel piteux objet se vient offrir à moi[1] ?
Traîtres, auriez-vous fait sur un si beau visage,
250Attendant Rosidor, l’essai de votre rage ?
C’est Caliste elle-même ! Ah Dieux, injustes Dieux[2] !
Ainsi donc, pour montrer ce spectacle à mes yeux,
Votre faveur barbare a conservé ma vie[3] !
Je n’en veux point chercher d’auteurs que votre envie :
255La nature, qui perd ce qu’elle a de parfait,
Sur tout autre que vous eût vengé ce forfait.
Et vous eût accablés, si vous n’étiez ses maîtres.
Vous m’envovez en vain ce fer contre des traîtres[4] ;

  1. En marge, dans l’édition de 1632 : Il voit Caliste pâmée et la croit morte.
  2. Var. C’est ma chère Caliste ! Ah ! Dieux, injustes Dieux ! (1632-57)
  3. Var. Votre faveur cruelle a conservé ma vie. (1632-57)
  4. Var. [Vous m’envoyez en vain ce fer contre des traîtres,]
    Sachez que Rosidor maudit votre secours :
    Vous ne méritez pas qu’il vous doive ses jours.
    Unique déité qu’à présent je réclame,
    Belle âme, viens aider à sortir à mon âme ;
    Reçois-la sur les bords de ce pâle coral ;
    Fais qu’en dépit des Dieux, qui nous traitent si mal
    Nos esprits, rassemblés hors de leur tyrannie,
    Goûtent là-bas un bien qu’ici l’on nous dénie.
    Tristes embrassements, baisers mal répondus,
    Pour la première fois donnés et non rendus,
    Hélas ! quand mes douleurs me l’ont presque ravie,
    Tous glacés et tous morts, vous me rendez la vie.
    Cruels, n’abusez plus de l’absolu pouvoir
    Que dessus tous mes sens l’amour vous fait avoir ;
    N’employez qu’à ma mort ce souverain empire.