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XXX
NOTICE BIOGRAPHIQUE

quatre ans avant de l’épouser, il y a trois fleurs au moins, six peut-être, à qui Corneille a dicté leurs hommages[1]. Ce fut dans la chambre bleue de l’hôtel qu’il lut Polyeucte à de belles dames, un peu offusquées de l’austérité de l’ouvrage, et à un évêque, fort blessé des excès de zèle de l’ardent néophyte[2]. Corneille, à qui l’habitude de communiquer ses pièces, avant la représentation, à un auditoire choisi ne profitait décidément pas, et qui cependant ne la perdit point, ne fut, dit-on, consolé de sa déconvenue que par les conseils d’un acteur fort médiocre, qui ranima son courage et le décida à laisser sa pièce aux comédiens. On a même prétendu[3] que ceux-ci ayant d’abord refusé de jouer cette tragédie, Corneille donna son manuscrit à l’un d’eux, qui le jeta sur un ciel de lit, où il demeura oublié plus de dix-huit mois ; mais M. Taschereau a fait justice de cette fable invraisemblable.

Il faut dire à la décharge des auditeurs de Corneille que son extérieur n’avait rien d’aimable, son débit rien de séduisant. Nous avons déjà fait remarquer ailleurs[4] que Boisrobert lui reprochait de barbouiller ses vers ; les divers portraits que ses contemporains ont faits de lui prouvent que ce reproche n’avait rien d’exagéré.

« … Simple, timide, d’une ennuyeuse conversation, dit la Bruyère[5] ; il prend un mot pour un autre, et il ne juge de la

    Noailles) est une précieuse aussi spirituelle qu’elle a l’humeur douce. Elle aime le jeu ; les vers lui plaisent extraordinairement, mais elle ne les sauroit souffrir s’ils ne sont tout à fait beaux, et c’est par cette raison qu’elle protège les deux Cléocrites (Pierre et Thomas Corneille), qui ne font rien que d’achevé, et qui, dans la composition des jeux du cirque, surpassent tous les auteurs qui ont jamais écrit. » — Dans un opuscule intitulé la belle de Ludre, Nancy, 1861, on trouve le passage suivant, tiré d’une oraison funèbre inédite : « Les Benserade, les Racine, les Corneille rendront témoignage que personne ne savoit mieux estimer les choses louables, ni mieux louer ce qu’elle estimoit. »

  1. Tome X, p. 10 et 11.
  2. Voyez tome III, p. 466.
  3. Anecdotes dramatiques, tome II, p. 84.
  4. Tome III, p. 264 et 255.
  5. Des Jugements, n 56, tome II, p. loi de l’édition de M, Servois.