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CLITANDRE.

toutes les trois ensemble. Il paroît comme roi seulement quand il n’a intérêt qu’à la conservation de son trône, ou de sa vie, qu’on attaque pour changer l’État, sans avoir l’esprit agité d’aucune passion particulière ; et c’est ainsi qu’Auguste agit dans Cinna, et Phocas dans Héraclius. Il paroît comme homme seulement quand il n’a que l’intérêt d’une passion à suivre ou à vaincre, sans aucun péril pour son État ; et tel est Grimoald dans les trois premiers actes de Pertharite et les deux reines dans Don Sanche. Il ne paroît enfin que comme juge quand il est introduit sans aucun intérêt pour son État, ni pour sa personne, ni pour ses affections, mais seulement pour régler celui des autres, comme dans ce poëme et dans le Cid ; et on ne peut[1] désavouer qu’en cette dernière posture il remplit assez mal la dignité d’un si grand titre, n’ayant aucune part en l’action que celle qu’il y veut prendre pour d’autres, et demeurant bien éloigné de l’éclat des deux autres manières. Aussi on[2] ne le donne jamais à représenter aux meilleurs acteurs ; mais il faut qu’il se contente de passer par la bouche de ceux du second ou du troisième ordre. Il peut paroître comme roi et comme homme tout à la fois quand il a un grand intérêt d’État et une forte passion tout ensemble à soutenir, comme Antiochus dans Rodogune, et Nicomède dans la tragédie qui porte son nom ; et c’est, à mon avis, la plus digne manière et la plus avantageuse de mettre sur la scène des gens de cette condition, parce qu’ils attirent alors toute l’action à eux, et ne manquent jamais d’être représentés par les premiers acteurs. Il ne me vient point d’exemple en la mémoire où un roi paroisse comme homme et comme juge, avec un intérêt de pas-

  1. Var. (édit. de 1660-1664) : et l’on ne peut pas.
  2. Var. (édit. de 1660-1664) : l’on.