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ACTE IV, SCÈNE I.

D’un bien dont cet orgueil fuit mieux savoir le prix[1].
1095Hors ce cas, il lui faut complaire à tout le monde,
Faire qu’aux vœux de tous l’apparence réponde[2],
Et sans embarrasser son cœur de leurs amours,
Leur faire bonne mine, et souffrir leurs discours[3].
Qu’à part ils pensent tous avoir la préférence,
1100Et paroissent ensemble entrer en concurrence[4]
Que tout l’extérieur de son visage égal
Ne rende aucun jaloux du bonheur d’un rival ;
Que ses yeux partagés leur donnent de quoi craindre,
Sans donner à pas un aucun lieu de se plaindre ;
1105Qu’ils vivent tous d’espoir jusqu’au choix d’un mari,
Mais qu’aucun cependant ne soit le plus chéri,
Et qu’elle cède enfin, puisqu’il faut qu’elle cède[5],
À qui paiera le mieux le bien qu’elle possède.
Si tu n’eusses jamais quitté cette leçon.
1110Ton Éraste avec toi vivroit d’autre façon.

MÉLITE.

Ce n’est pas son humeur de souffrir ce partage :
Il croit que mes regards soient son propre héritage,
Et prend ceux que je donne à tout autre qu’à lui
Pour autant de larcins faits sur le bien d’autrui.

  1. Var. D’un bien dont un dédain fait mieux savoir le prix. (1633-57)
  2. Var. Faire qu’aux vœux de tous son visage réponde, (1633-57)
  3. Var. Leur faire bonne mine, et souffrir leur discours. (1633, 44 et 52-57)
    Var. Leur montrer bonne mine, et souffrir leur discours. (1648)
  4. Var. [Et paroissent ensemble entrer en concurrence :]
    Ainsi lorsque plusieurs te parlent à la fois,
    En répondant à l’un, serre à l’autre les doigts.
    Et si l’un te dérobe un baiser par surprise,
    Qu’à l’autre incontinent il soit en belle prise ;
    Que l’un et l’autre juge, à ton visage égal,
    Que tu caches ta flamme aux yeux de son rival.
    Partage bien les tiens, et surtout sache feindre,
    De sorte que pas un n’ait sujet de se plaindre. (1633-57)
  5. Var. Tiens bon, et cède enfin, puisqu’il faut que tu cèdes,
    À qui paiera le mieux le bien que tu possèdes. (1633-57)