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MÉLITE.

Et ce qu’on voit par là de refroidissement
1070Ne fait que trop juger son mécontentement.
Tu m’en veux cependant cacher tout le mystère ;
Mais je pourrois enfin en croire ma colère,
Et pour punition te priver des avis
Qu’a jusqu’ici ton cœur si doucement suivis.

MÉLITE.

1075C’est à moi de trembler après cette menace,
Et toute autre du moins trembleroit en ma place.

LA NOURRICE.

Ne raillons point : le fruit qui t’en est demeuré
(Je parle sans reproche, et tout considéré)
Vaut bie… Mais revenons à notre humeur chagrine :
Apprends-moi ce que c’est.

MÉLITE.

1080Apprends-moi ce que c’est.Veux-tu que je devine ?
Dégoûté d’un esprit si grossier que le mien,
Il cherche ailleurs peut-être un meilleur entretien.

LA NOURRICE.

Ce n’est pas bien ainsi qu’un amant perd l’envie
D’une chose deux ans ardemment poursuivie :
1085D’assurance un mépris l’oblige à se piquer ;
Mais ce n’est pas un trait qu’il faille pratiquer.
Une fille qui voit et que voit la jeunesse
Ne s’y doit gouverner qu’avec beaucoup d’adresse ;
Le dédain lui messied, ou quand elle s’en sert,
1090Que ce soit pour reprendre un amant qu’elle perd.
Une heure de froideur, à propos ménagée,
Peut rembraser une âme à demi dégagée[1].
Qu’un traitement trop doux dispense à[2] des mépris

  1. Var. Rembrase assez souvent une âme dégagée. (1633-57)
  2. Dispenser à… accorder la dispense, la permission nécessaire pour faire quelque chose, autoriser à…