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ACTE III, SCÈNE V.

M’avoir fait bonne part de son aveuglement.
995On enchérit pourtant sur ma faute passée :
Dans la même folie une autre embarrassée[1]
Le rend encor parjure, et sans âme, et sans foi,
Pour se donner l’honneur de faillir après moi.
Je meure, s’il n’est vrai que la moitié du monde[2]
1000Sur l’exemple d’autrui se conduit et se fonde.
À cause qu’il parut quelque temps m’enflammer,
La pauvre fille a cru qu’il valoit bien l’aimer,
Et sur cette croyance elle en a pris envie ;
Lui pût-elle durer jusqu’au bout de sa vie !
1005Si Mélite a failli me l’ayant débauché,
Dieux, par là seulement punissez son péché !
Elle verra bientôt que sa digne conquête[3]
N’est pas une aventure à me rompre la tête.
Un si plaisant malheur m’en console à l’instant.
1010Ah ! si mon fou de frère en pouvoit faire autant[4],
Que j’en aurois de joie, et que j’en ferois gloire !
Si je puis le rejoindre, et qu’il me veuille croire,
Nous leur ferons bien voir que leur change indiscret
Ne vaut pas un soupir, ne vaut pas un regret.
1015Je me veux toutefois en venger par malice,
Me divertir une heure à m’en faire justice :
Ces lettres fourniront assez d’occasion
D’un peu de défiance et de division.
Si je prends bien mon temps, j’aurai pleine matière
1020À les jouer tous deux d’une belle manière.
En voici déjà l’un qui craint de m’aborder.

  1. Var. Dans la même sottise une autre embarrassée. (1633-57)
  2. Var. Je meure, s’il n’est vrai que la plupart du monde. (1633)
  3. Var. Elle verra bientôt, quoi qu’elle se propose,
    Qu’elle n’a pas gagné, ni moi perdu grand’chose.
    Ma perte me console, et m’égaye à l’instant. (1633-57)
  4. Voyez au Complément des variantes, p. 251.