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ACTE III, SCÈNE III.

Mais cachons-en la honte, et nous donnons du moins
Ce faux soulagement, en mourant sans témoins,
Que mon trépas secret empêche l’infidèle
D’avoir la vanité que je sois mort pour elle.


Scène IV.

TIRCIS, CLORIS.
CLORIS.

925Mon frère, en ma faveur retourne sur tes pas.
Dis-moi la vérité : tu ne me cherchois pas ?
Eh quoi ! tu fais semblant de ne me pas connoître ?
Ô Dieux ! en quel état te vois-je ici paroître !
Tu palis tout à coup, et les louches regards
930S’élancent incertains presque de toutes parts !
Tu manques à la fois de couleur et d’haleine[1] !


    Pour lui donner passage, est tout prêt de se frndre (a) ;
    Mon âme par dépit tâche d’abandonner
    Un corps que sa raison sut si mal gouverner.
    Mes yeux, jusqu’à présent couverts de mille nues.
    S’en Vont les distiller en larmes continues,
    Larmes qui donneront pour juste châtiment
    À leur aveugle erreur un autre aveuglement ;
    Et mes pieds, qui savoient sans eux, sans leur conduite,
    Comme insensiblement me porter chez Mélite,
    Me porteront sans eux en quelque lieu désert,
    En quelque lieu sauvage à peine découvert.
    Où ma main, d’un poignard, achèvera le reste,
    Où pour suivre l’arrêt de mon destin funeste,
    Je répandrai mon sang, et j’aurai pour le moins
    Ce foible et vain soulas en mourant sans témoins,
    Que mon trépas secret fera que l’infidèle
    Ne pourra se vanter que je sois mort pour elle. (1633-57)
    (a). Ces quatre vers : « Aussi ma prompte mort, etc., » ne sont que dans l’édition de 1633.

  1. Var. Tu manques à la fois de poumon et d’haleine. (1633-60)