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MÉLITE.

Scène III.

TIRCIS.

Adieu.Tu fuis, perfide, et ta légèreté,
870T’ayant fait criminel, te met en sûreté !
Reviens, reviens défendre une place usurpée :
Celle qui te chérit vaut bien un coup d’épée.
Fais voir que l’infidèle, en se donnant à toi,
A fait choix d’un amant qui valoit mieux que moi ;
875Soutiens son jugement, et sauve ainsi de blâme
Celle qui pour la tienne a négligé ma flamme.
Crois-tu qu’on la mérite à force de courir ?
Peux-tu m’abandonner ses faveurs sans mourir[1] ?
Ô lettres, ô faveurs indignement placées,
880À ma discrétion honteusement laissées !
Ô gages qu’il néglige ainsi que superflus !
Je ne sais qui de nous vous diffamez le plus[2] ;

  1. Var. [Peux-tu m’abandonner ses faveurs sans mourir ?]
    Si de les plus garder ton peu d’esprit se lasse,
    Viens me dire du moins ce qu’il faut que j’en fasse.
    Ne t’en veux-tu servir qu’à me désabuser ?
    N’ont-elles point d’effet qui soit plus à priser ?
    [Ô lettres, ô faveurs indignement placées.] (1633)
  2. Var. Je ne sais qui des trois vous diffamez le plus,
    De moi, de ce perfide, ou bien de sa maîtresse ;
    Car vous nous apprenez qu’elle est une traîtresse,
    Son amant un poltron, et moi sans jugement,
    De n’avoir rien prévu de son déguisement.
    Mais que par ses transports ma raison est surprise !
    Pour ce manque de cœur qu’à tort je le méprise !
    (Hélas ! à mes dépens je le puis bien savoir)
    Quand on a vu Mélite on n’en peut plus avoir (a).
    Fuis donc, homme sans cœur, va dire à ta volage
    Combien sur ton rival ta fuite a d’avantage,
    Et que ton pied léger ne laisse à ma valeur
    Que les vains mouvements d’une juste douleur.
    Ce lâche naturel qu’elle fait reconnoître
    Ne t’aimera pas moins étant poltron que traître.
    Traître et poltron ! voilà les belles qualités
    Qui retiennent les sens de Mélite enchantés.
    Aussi le falloit-il que cette âme infidèle,
    [Changeant d’affection, prît un traître comme elle,]
    Et la jeune rusée a bien su rechercher (b)
    Un qui n’eût sur ce point rien à lui reprocher,
    Cependant que, leurré d’une fausse apparence,
    Je repaissois de vent ma frivole espérance.
    Mais je le méritois, et ma facilité
    Tentoit trop puissamment son infidélité (c).
    Je croyois à ses yeux, à sa mine embrasée (d),
    À ces petits larcins pris d’une force aisée.
    Hélas ! et se peut-il que ces marques d’amour
    Fussent de la partie en un si lâche tour ?
    Auroit-on jamais vu tant de supercherie,
    Que tout l’extérieur ne fût que piperie ?
    [Non, non, il n’en est rien : une telle beauté.] (1633-57)
    (a). Ces quatre vers : « Mais que par, etc., » ne sont que dans l’édition de 1633.
    (b). Et cette humeur légère a bien su rechercher. (1644-57)
    (c). Ces quatre vers : « Cependant que, leurré, etc., » ne sont que dans l’édition de 1633.
    (d). Cependant je croyois à sa mine embrasée. (1644-57)