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MÉLITE.

Ne divertiroit pas[1] l’amour que je vous porte,
Qui ne craindra jamais les humeurs d’un jaloux.

MÉLITE.

Aussi le croit-il bien, ou je me trompe.

TIRCIS.

Aussi le croit-il bien, ou je me trompe.Et vous ?

MÉLITE.

Bien que cette croyance à quelque erreur m’expose[2],
700Pour lui faire dépit, j’en croirai quelque chose.

TIRCIS.

Mais afin qu’il reçût un entier déplaisir,
Il faudroit que nos cœurs n’eussent plus qu’un desir.
Et quitter ces discours de volontés sujettes[3],
Qui ne sont point de mise en l’état où vous êtes.
705Vous-même consultez un moment vos appas[4],
Songez à leurs effets, et ne présumez pas
Avoir sur tous les cœurs un pouvoir si suprême[5],
Sans qu’il vous soit permis d’en user sur vous-même.
Un si digne sujet ne reçoit point de loi.
710De règle, ni d’avis, d’un autre que de soi.

MÉLITE.

Ton mérite, plus fort que ta raison flatteuse,
Me rend, je le confesse, un peu moins scrupuleuse.
Je dois tout à ma mère, et pour tout autre amant
Je voudrois tout remettre à son commandement[6] ;
715Mais attendre pour toi l’effet de sa puissance,
Sans te rien témoigner que par obéissance,

  1. C’est-à-dire, suivant le sens étymologique du mot, ne détournerait pas. Voyez le Lexique.
  2. Var. Bien que ce soit un heur où prétendre je n’ose. (1633-57)
  3. Volontés sujettes, volontés soumises à une mère. La réponse de Mélite éclaircit parfaitement ce que cette expression pourrait avoir d’obscur,
  4. Var. Consultez seulement avecque vos appas. (1633-57)
    Var. Consultez en vous-même un moment vos appas. (1660)
  5. Var. Avoir sur tout le monde un pouvoir si suprême. (1633-57)
  6. Var. Je m’en voudrois remettre à son commandement. (1633-60)