Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
173
ACTE II, SCÈNE IV.
TIRCIS.

Je rêve, et mon esprit ne s’en peut exempter ;
Car sitôt que je viens à me représenter
Qu’une vieille amitié de mon amour s’irrite,
Qu’Éraste s’en offense et s’oppose à Mélite[1],
525Tantôt je suis ami, tantôt je suis rival,
Et toujours balancé d’un contre-poids égal,
J’ai honte de me voir insensible ou perfide :
Si l’amour m’enhardit, l’amitié m’intimide.
Entre ces mouvements mon esprit partagé
530Ne sait duquel des deux il doit prendre congé.

CLORIS.

Voilà bien des détours pour dire, au bout du conte,
Que c’est contre ton gré que l’amour te surmonte.
Tu présumes par là me le persuader ;
Mais ce n’est pas ainsi qu’on m’en donne à garder[2].
535À la mode du temps, quand nous servons quelque autre.
C’est seulement alors qu’il n’y va rien du nôtre[3].
Chacun en son affaire est son meilleur ami[4],
Et tout autre intérêt ne touche qu’à demi.

TIRCIS.

Que du foudre à tes yeux j’éprouve la furie,
540Si rien que ce rival cause ma rêverie !

CLORIS.

C’est donc assurément son bien qui t’est suspect :
Son bien te fait rêver, et non pas son respect,
Et toute amitié bas, tu crains que sa richesse
En dépit de tes feux n’obtienne ta maîtresse[5].

  1. Var. Qu’Éraste m’en retire et s’oppose à Mélite. (1633)
  2. Var. Mais ce n’est pas ainsi qu’on m’en baille à garder. (1633-57)
  3. Var. C’est seulement alors qu’il n’y a rien du nôtre (a). (1657-63)
    (a). Au sujet de cette leçon, qui figure, comme on le voit, dans plusieurs éditions, on lit dans les Fautes notables survenues pendant l’impression (édit. de 1663, tome 1, p. lx) : « Qu’il n’y a rien, » lisez : « qu’il n’y va rien. »
  4. Var. Un chacun à soi-même est son meilleur ami. (1633-57)
  5. fVar. En dépit de tes feux n’emporte ta maîtresse. (1633)