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ACTE I, SCÈNE II.

N’ont pu se garantir de sa subtilité,
Et je l’amène ici, n’ayant plus que répondre[1],
150Assuré que vos yeux le sauront mieux confondre.

MÉLITE.

Vous deviez l’assurer plutôt qu’il trouveroit
En ce mépris d’Amour qui le seconderoit.

TIRCIS.

Si le cœur ne dédit ce que la bouche exprime,
Et ne fait de l’amour une plus haute estime[2],
155Je plains les malheureux à qui vous en donnez,
Comme à d’étranges maux par leur sort destinés.

MÉLITE.

Ce reproche sans cause avec raison m’étonne[3] :
Je ne reçois d’amour et n’en donne à personne.
Les moyens de donner ce que je n’eus jamais[4] ?

ÉRASTE.

160Ils vous sont trop aisés, et par vous désormais
La nature pour moi montre son injustice
À pervertir son cours pour me faire un supplice[5].

MÉLITE.

Supplice imaginaire, et qui sent son moqueur.

ÉRASTE.

Supplice qui déchire et mon âme et mon cœur.

MÉLITE.

165Il est rare qu’on porte avec si bon visage[6]
L’âme et le cœur ensemble en si triste équipage[7].

  1. Var. Et je l’amène à vous, n’ayant plus que répondre. (1633)
  2. Var. Et ne fait de l’amour une meilleure estime. (1633-57)
  3. Var. Ce reproche sans cause, inopiné, m’étonne. (1633-57)
  4. Peut-être Molière se rappelait-il ce passage lorsqu’il faisait dire à Agnès :
    Mes yeux ont-ils du mal pour en donner au monde ?
    (L’École des Femmes, acte II, sc. vi.)
  5. Var. À pervertir son cours pour croître mon supplice. (1633-64)
  6. Var. D’ordinaire on n’a pas avec si bon visage. (1633-57)
  7. Var. Ni l’âme ni le cœur en un tel équipage. (1633)
    Var. Ni l’âme ni le cœur en si triste équipage. (1644-57)