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ACTE I, SCÈNE I.

Je règle mes desirs suivant mon intérêt.
Si Doris me vouloit, toute laide qu’elle est,
Je l’estimerois plus qu’Aminte et qu’Hippolyte ;
Son revenu chez moi tiendroit lieu de mérite :
115C’est comme il faut aimer. L’abondance des biens
Pour l’amour conjugal a de puissants liens :
La beauté, les attraits, l’esprit, la bonne mine[1],
Échauffent bien le cœur, mais non pas la cuisine ;
Et l’hymen qui succède à ces folles amours.
120Après quelques douceurs, a bien de mauvais jours[2]
Une amitié si longue est fort mal assurée
Dessus des fondements de si peu de durée[3].
L’argent dans le ménage a certaine splendeur
Qui donne un teint d’éclat à la même laideur[4] ;
125Et tu ne peux trouver de si douces caresses i 25
Dont le goût dure autant que celui des richesses.

ÉRASTE[5].

Auprès de ce bel œil qui tient mes sens ravis,
À peine pourrois-tu conserver ton avis.

TIRCIS.

La raison en tous lieux est également forte.

ÉRASTE.

130L’essai n’en coûte rien : Mélite est à sa porte ;
Allons, et tu verras dans ses aimables traits
Tant de charmants appas, tant de brillants attraits[6],

  1. Var. La beauté, les attraits, le port, la bonne mine,
    Échauffent bien les draps, mais non pas la cuisine. (1633)
  2. Var. Pour quelques bonnes nuits, a bien de mauvais jours. (1633-57)
  3. Var. [Dessus des fondements de si peu de durée.]
    C’est assez qu’une femme ait un peu d’entregent,
    La laideur est trop belle étant teinte en argent. (1633)
  4. L’or même à la laideur donne un teint de beauté,
    a dit plus tard Boileau dans sa VIIIe satire.
  5. En marge, dans l’édition de 1633 : Mélite paroît.
  6. Var. Tant de charmants appas, tant de divins attraits. (1633-57)