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MÉLITE.

5Elle a sur tous mes sens une entière puissance ;
Si j’ose en murmurer, ce n’est qu’en son absence,
Et je ménage en vain dans un éloignement
Un peu de liberté pour mon ressentiment :
D’un seul de ses regards l’adorable contrainte[1]
10Me rend tous mes liens, en resserre l’étreinte,
Et par un si doux charme aveugle ma raison[2],
Que je cherche mon mal et fuis ma guérison.
Son œil agit sur moi d’une vertu si forte,
Qu’il ranime soudain mon espérance morte,
15Combat les déplaisirs de mon cœur irrité,
Et soutient mon amour contre sa cruauté ;
Mais ce flatteur espoir qu’il rejette en mon âme
N’est qu’un doux imposteur qu’autorise ma flamme[3]
Et qui sans m’assurer ce qu’il semble m’offrir[4],
20Me fait plaire en ma peine, et m’obstine à souffrir.

TIRCIS.

Que je te trouve, ami, d’une humeur admirable !
Pour paroître éloquent tu te feins misérable :
Est-ce à dessein de voir avec quelles couleurs
Je saurois adoucir les traits de tes malheurs ?
25Ne t’imagine pas qu’ainsi sur ta parole[5]
D’une fausse douleur un ami te console :
Ce que chacun en dit ne m’a que trop appris
Que Mélite pour toi n’eut jamais de mépris.

ÉRASTE.

Son gracieux accueil et ma persévérance

  1. Var. Un seul de ses regards l’étouffé et le dissipe.
    Un seul de ses regards me séduit et me pipe. (1633-57)
  2. Var. Et d’un tel ascendant maîtrise ma raison
    Que je chéris mon mal et fuis ma guérison. (1633)
  3. Var. N’est rien qu’un vent qui souffle et rallume ma flamme. (1633)
    Var. N’est rien qu’un imposeur qui rallume ma flamme. (1644-57)
    Var. N’est qu’un doux imposteur qui rallume ma flamme. (1660)
  4. Var. Et reculant toujours ce qu’il semble m’offrir.(1633-60)
  5. Var. Ne t’imagine pas que dessus, ta parole. (1633-57)