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MÉLITE.

près de trente ans d’étude m’ont acquis ; » et il y aurait certes là de quoi nous embarrasser si nous ne lisions dans la Lettre du sieur Claveret au sieur Corneille : « Je vous déclare que je ne me pique point de savoir faire des vers, que je vous en laisse toute la gloire, à vous qui avez commencé d’être poëte avant votre naissance, comme il est facile à juger par vos trente années d’étude, que vous n’eûtes jamais. Je vous confesse encore qu’il me seroit peut-être bien difficile de vous atteindre en ce bel art, quand aussi bien que vous, durant neuf ou dix ans, j’en aurois fait métier et marchandise. »

À prendre cette phrase à la rigueur, Mélite serait de 1627 ou de 1628 ; mais il ne s’agit ici que d’une simple approximation fort propre au contraire à corroborer les autorités précédentes et à faire adopter définitivement la date de 1629.

Corneille avait confié sa comédie au célèbre comédien Mondory, de passage à Rouen, qui la fit représenter à Paris, sans apprendre au public qui en était l’auteur. Il était alors tellement inconnu à Paris qu’il y avait, comme il nous le dit lui-même, avantage à taire son nom[1].

L’usage de publier le nom des poëtes dramatiques venait d’ailleurs seulement de s’établir, et ne s’était sans doute pas encore généralisé. Sorel nous apprend, dans sa Bibliothèque françoise[2], qu’il s’introduisit après le Pyrame de Théophile, la Sylvie de Mairet, les Bergeries de Racan, et Amarante de Gombaud, c’est-à-dire vers 1625 : « Les poëtes, dit-il, ne firent plus de difficulté de laisser mettre leur nom aux affiches des comédiens, car auparavant on n’y en avoit jamais vu aucun ; on y mettoit seulement le nom des pièces, et les comédiens annonçoient seulement que leur auteur leur donnoit une comédie nouvelle de tel nom. »

Mélite produisit d’abord peu d’effet : « Ses trois premières représentations ensemble, dit Corneille dans la dédicace, n’eurent point tant d’affluence que la moindre de celles qui les suivirent dans le même hiver. » Mais il ajoute dans l’Examen : « Le succès en fut surprenant. Il établit une nouvelle troupe de comédiens à Paris, malgré le mérite de celle qui étoit en possession de s’y voir l’unique. »

  1. Dédicace de Mélite, p. 135.
  2. Page 183.