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DISCOURS

d’importance par le moyen de ceux qui parlent, et qui croient n’être entendus de personne ; car alors l’intérêt qu’ils ont à ce qui se dit, joint à une curiosité raisonnable d’apprendre ce qu’ils ne peuvent savoir d’ailleurs, leur donne grande part en l’action, malgré leur silence ; mais, en ces deux exemples, Ammon et Achorée mêlent une présence si froide aux scènes qu’ils écoutent, qu’à ne rien déguiser, quelque couleur que je leur donne pour leur servir de prétexte, ils ne s’arrêtent que pour les lier avec celles qui les précèdent, tant l’une et l’autre pièce s’en peut aisément passer.

Bien que l’action du poëme dramatique doive avoir son unité, il y faut considérer deux parties : le nœud et le dénouement. Le nœud est composé, selon Aristote, en partie de ce qui s’est passé hors du théâtre avant le commencement de l’action qu’on y décrit et en partie de ce qui s’y passe ; le reste appartient au dénouement. Le changement d’une fortune en l’autre fait la séparation de ces deux parties. Tout ce qui le précède est de la première ; et ce changement avec ce qui le suit regarde l’autre[1]. Le nœud dépend entièrement du choix et de l’imagination industrieuse du poëte ; et l’on n’y peut donner de règle, sinon qu’il y doit ranger toutes choses selon le vraisemblable ou le nécessaire, dont j’ai parlé dans le second Discours ; à quoi j’ajoute un conseil, de s’embarrasser le moins qu’il lui est possible de choses arrivées avant l’action qui se représente. Ces narrations importunent d’ordinaire, parce qu’elles ne sont pas attendues, et qu’elles gênent l’esprit de l’auditeur, qui est obligé de charger sa

  1. Τὰ μὲν ἕξωθεν καὶ ἕνια τῶν ἕσωθεν πολλάχις ἡ δέσις, τὸ δὲ λοιπὸν ἡ λύσις. Λέγω δὲ δέσιν μὲν εἶναι τὴν ἀπ’ ἀρχῆς μέχρι τούτου τοῦ μέρους ὃ ἔσχατόν ἐστιν, ἐξ οὗ μεταβαίνει εἰς δυστυχίαν ἢ εἰς εὐτυχίαν, λύσιν δὲ τὴν ἀπὸ τἢς ἀρχῆς τἢς μεταβάσεως μέχρι τέλους. (Aristote, Poétique, chapitre xviii, 1.)