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DES TROIS UNITÉS.

que les unes et les autres doivent avoir une telle liaison ensemble, que les dernières soient produites par celles qui les précèdent, et que toutes ayent leur source dans la protase que doit fermer le premier acte. Cette règle, que j’ai établie dès le premier Discours[1], bien qu’elle soit nouvelle et contre l’usage des anciens, a son fondement sur deux passages d’Aristote. En voici le premier : Il y a grande différence, dit-il, entre les événements qui viennent les uns après les autres, et ceux qui viennent les uns à cause des autres[2]. Les Maures viennent dans le Cid après la mort du Comte, et non pas à cause de la mort du Comte ; et le pécheur vient dans Don Sanche après qu’on soupçonne Carlos d’être le prince d’Aragon, et non pas à cause qu’on l’en soupçonne ; ainsi tous les deux sont condamnables. Le second passage est encore plus formel, et porte en termes exprès, que tout ce qui se passe dans la tragédie doit arriver nécessairement ou vraisemblablement de ce qui l’a précédé[3].

La liaison des scènes qui unit toutes les actions particulières de chaque acte l’une avec l’autre, et dont j’ai parlé en l’examen de la Suivante, est un grand ornement dans un poème, et qui sert beaucoup à former une continuité d’action par la continuité de la représentation ; mais enfin ce n’est qu’un ornement et non pas une règle. Les anciens ne s’y sont pas toujours assujettis, bien que la plupart de leurs actes ne soient chargés que de deux ou trois scènes ; ce qui la rendoit bien plus facile pour eux que pour nous, qui leur en donnons quelquefois jus-

  1. Voyez plus haut, p. 42 et suivantes.
  2. Διαφέρει γὰρ πολὺ γίνεσθαι τάδε διὰ τάδε, ἢ μετὰ τάδε. (Aristote, Poétique, chap. x, 3.)
  3. Ταὔτα δὲ δεῖ γἰνεσθαι έξ αὺτἢς τἢς συστάσεως τοῦ μύθου, ὥστε ἐκ τὤν προγεγενημένων συμβαίειν ἢ έξ ἀνάγκης ἢ κατὰ τὸ εἰκὸς γίνεσθαι ταὒτα. (Aristote, Poétique, chap. x, 3.)