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DISCOURS

saire pour le théâtre ; et à moins que cela, les sentiments des trois Horaces, de leur père, de leur sœur, de Curiace, et de Sabine, se fussent présentés à faire paroître tous à la fois[1]. Le roman, qui ne fait rien voir, en fût aisément venu à bout ; mais sur la scène il a fallu les séparer, pour y mettre quelque ordre, et les prendre l’un après l’autre, en commençant par ces deux-ci, que j’ai été forcé de ramener dans cette salle sans vraisemblance. Cela passé, le reste de l’acte est tout à fait vraisemblable, et n’a rien qu’on fût obligé de faire arriver d’une autre manière dans le roman. À la fin de cet acte, Sabine et Camille, outrées de déplaisir, se retirent de cette salle avec un emportement de douleur, qui vraisemblablement va renfermer leurs larmes dans leur chambre, où le roman les ferait demeurer et y recevoir la nouvelle du combat. Cependant, par la nécessité de les faire voir aux spectateurs, Sabine quitte sa chambre au commencement du troisième acte, et revient entretenir ses douloureuses inquiétudes dans cette salle, où Camille la vient trouver. Cela fait, le reste de cet acte est vraisemblable, comme en l’autre ; et si vous voulez examiner avec cette rigueur les premières scènes des deux derniers, vous trouverez peut-être la même chose, et que le roman placeroit ses personnages ailleurs qu’en cette salle, s’ils en étoient une fois sortis, comme ils en sortent à la fin de chaque acte.

Ces exemples peuvent suffire pour expliquer comme on peut traiter une action selon le nécessaire, quand on ne la peut traiter selon le vraisemblable, qu’on doit toujours préférer au nécessaire lorsqu’on ne regarde que les actions en elles-mêmes.

Il n’en va pas ainsi de leur liaison qui les fait naître

  1. Var. (édit. de 1660) : tout à la fois.