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C’est un soin que nous devons prendre de préserver nos héros du crime tant qu’il se peut, et les exempter même de tremper leurs mains dans le sang, si ce n’est en un juste combat. J’ai beaucoup osé dans Nicomède : Prusias son père l’avait voulu faire assassiner dans son armée ; sur l’avis qu’il en eut par les assassins mêmes, il entra dans son royaume, s’en empara, et réduisit ce malheureux père à se cacher dans une caverne, où il le fit assassiner lui-même. Je n’ai pas poussé l’histoire jusque-là ; et après l’avoir peint trop vertueux pour l’engager dans un parricide, j’ai cru que je pouvais me contenter de le rendre maître de la vie de ceux qui le persécutaient, sans le faire passer plus avant.

Je ne saurais dissimuler une délicatesse que j’ai sur la mort de Clytemnestre, qu’Aristote nous propose pour exemple des actions qui ne doivent point être changées. Je veux bien avec lui qu’elle ne meure que de la main de son fils Oreste ; mais je ne puis souffrir chez Sophocle que ce fils la poignarde de dessein formé cependant qu’elle est à genoux devant lui et le conjure de lui laisser la vie. Je ne puis même pardonner à Electre, qui passe pour une vertueuse opprimée dans le reste de la pièce, l’inhumanité dont elle encourage son frère à ce parricide. C’est un fils qui venge son père, mais c’est sur sa mère qu’il le venge. Séleucus et Antiochus avaient droit d’en faire autant dans Rodogune ; mais je n’ai osé leur en donner la moindre pensée. Aussi notre maxime de faire aimer nos principaux acteurs n’était pas de l’usage des anciens, et ces républicains avaient une si forte haine