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DE LA TRAGÉDIE.

n’est des épisodes de même trempe : la raison en est que bien que nous ne devions rien inventer que de vraisemblable, et que ces sujets fabuleux, comme Andromède et Phaéton, ne le soient point du tout, inventer des épisodes, ce n’est pas tant inventer qu’ajouter à ce qui est déjà inventé ; et ces épisodes trouvent une espèce de vraisemblance dans leur rapport avec l’action principale ; en sorte qu’on peut dire que supposé que cela se soit pu faire, il s’est pu faire comme le poëte le décrit[1].

De tels épisodes toutefois ne seroient pas propres à un sujet historique ou de pure invention, parce qu’ils manqueroient de rapport avec l’action principale, et seroient moins vraisemblables qu’elle. Les apparitions de Vénus et d’Éole ont eu bonne grâce dans Andromède ; mais si j’avois fait descendre Jupiter pour réconcilier Nicomède avec son père, ou Mercure pour révéler à Auguste la conspiration de Cinna, j’aurois fait révolter tout mon auditoire, et cette merveille auroit détruit toute la croyance que le reste de l’action auroit obtenue. Ces dénouements par des Dieux de machine sont fort fréquents chez les Grecs, dans des tragédies qui paroissent historiques, et qui sont vraisemblables à cela près : aussi Aristote ne les condamne pas tout à fait, et se contente de leur préférer ceux qui viennent du sujet. Je ne sais ce qu’en décidoient les Athéniens, qui étoient leurs juges ; mais les deux exemples que je viens de citer montrent suffisamment qu’il seroit dangereux pour nous de les imiter en cette sorte de licence. On me dira que ces apparitions n’ont garde de nous plaire, parce que nous en savons manifestement la fausseté, et qu’elles choquent notre religion, ce qui n’arrivoit pas chez les Grecs. J’avoue qu’il faut s’accommoder aux mœurs de l’audi-

  1. Var. (édit. de 1660 et 1663) : l’a décrit.