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Pour la première, il est indubitable que les anciens en prenaient si peu de liberté, qu’ils arrêtaient leurs tragédies autour de peu de familles, parce que ces sortes d’actions étaient arrivées en peu de familles ; ce qui fait dire à ce philosophe que la fortune leur fournissait des sujets, et non pas l’art. Je pense l’avoir dit en l’autre discours. Il semble toutefois qu’il en accorde un plein pouvoir aux poètes par ces paroles : Ils doivent bien user de ce qui est reçu, ou inventer eux-mêmes. Ces termes décideraient la question, s’ils n’étaient point si généraux ; mais comme il a posé trois espèces de tragédies, selon les divers temps de connaître et les diverses façons d’agir, nous pouvons faire une revue sur toutes les trois, pour juger s’il n’est point à propos d’y faire quelque distinction qui resserre cette liberté. J’en dirai mon avis d’autant plus hardiment, qu’on ne pourra m’imputer de contredire Aristote, pourvu que je la laisse entière à quelqu’une des trois.

J’estime donc, en premier lieu, qu’en celles où l’on se propose de faire périr quelqu’un que l’on connaît, soit qu’on achève, soit qu’on soit empêché d’achever, il n’y a aucune liberté d’inventer la principale action, mais qu’elle doit être tirée de l’histoire ou de la fable. Ces entreprises contre des proches ont toujours quelque chose de si criminel et de si contraire à la nature, qu’elles ne sont pas croyables, à moins que d’être appuyées sur l’une ou sur l’autre ; et jamais elles n’ont cette vraisemblance sans laquelle ce qu’on invente ne peut être de mise.

Je n’ose décider si absolument de la seconde espèce.