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de si beaux effets sur nos théâtres, Aristote nous donne une lumière. Toute action, dit-il, se passe, ou entre des amis, ou entre des ennemis, ou entre des gens indifférents l’un pour l’autre. Qu’un ennemi tue ou veuille tuer son ennemi, cela ne produit aucune commisération, sinon en tant qu’on s’émeut d’apprendre ou de voir la mort d’un homme, quel qu’il soit. Qu’un indifférent tue un indifférent, cela ne touche guère davantage, d’autant qu’il n’excite aucun combat dans l’âme de celui qui fait l’action ; mais quand les choses arrivent entre des gens que la naissance ou l’affection attache aux intérêts l’un de l’autre, comme alors qu’un mari tue ou est prêt de tuer sa femme, une mère ses enfants, un frère sa sœur ; c’est ce qui convient merveilleusement à la tragédie. La raison en est claire. Les oppositions des sentiments de la nature aux emportements de la passion, ou à la sévérité du devoir, forment de puissantes agitations, qui sont reçues de l’auditeur avec plaisir ; et il se porte aisément à plaindre un malheureux opprimé ou poursuivi par une personne qui devrait s’intéresser à sa conservation, et qui quelquefois ne poursuit sa perte qu’avec déplaisir, ou du moins avec répugnance. Horace et Curiace ne seraient point à plaindre, s’ils n’étaient point amis et beaux-frères ; ni Rodrigue, s’il était poursuivi par un autre que par sa maîtresse ; et le malheur d’Antiochus toucherait beaucoup moins, si un autre que sa mère lui demandait le sang de sa maîtresse, ou qu’un autre que sa maîtresse lui demandât