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que de la pitié sans aucune crainte. Cela posé, trouvons quelque modération à la rigueur de ces règles du philosophe, ou du moins quelque favorable interprétation, pour n’être pas obligés de condamner beaucoup de poèmes que nous avons vu réussir sur nos théâtres.

Il ne veut point qu’un homme tout à fait innocent tombe dans l’infortune, parce que, cela étant abominable, il excite plus d’indignation contre celui qui le persécute que de pitié pour son malheur ; il ne veut pas non plus qu’un très méchant y tombe, parce qu’il ne peut donner de pitié par un malheur qu’il mérite, ni en faire craindre un pareil à des spectateurs qui ne lui ressemblent pas ; mais quand ces deux raisons cessent, en sorte qu’un homme de bien qui souffre excite plus de pitié pour lui que d’indignation contre celui qui le fait souffrir, ou que la punition d’un grand crime peut corriger en nous quelque imperfection qui a du rapport avec lui, j’estime qu’il ne faut point faire de difficulté d’exposer sur la scène des hommes très vertueux ou très méchants dans le malheur. En voici deux ou trois manières, que peut-être Aristote n’a su prévoir, parce qu’on n’en voyait pas d’exemples sur les théâtres de son temps.

La première est, quand un homme très vertueux est persécuté par un très méchant, et qu’il échappe du péril où le méchant demeure enveloppé, comme dans Rodogune et dans Héraclius, qu’on n’aurait pu souffrir si Antiochus et Rodogune eussent péri dans la première, et Héraclius, Pulchérie et Martian dans l’autre, et que Cléopâtre et Phocas