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conditions qu’il demande, elles se rencontrent si rarement, que Robortel ne les trouve que dans le seul Oedipe, et soutient que ce philosophe ne nous les prescrit pas comme si nécessaires que leur manquement rende un ouvrage défectueux, mais seulement comme des idées de la perfection des tragédies. Notre siècle les a vues dans le Cid, mais je ne sais s’il les a vues en beaucoup d’autres ; et si nous voulons rejeter un coup d’œil sur cette règle, nous avouerons que le succès a justifié beaucoup de pièces où elle n’est pas observée.

L’exclusion des personnes tout à fait vertueuses qui tombent dans le malheur bannit les martyrs de notre théâtre. Polyeucte y a réussi contre cette maxime, et Héraclius et Nicomède y ont plu, bien qu’ils n’impriment que de la pitié, et ne nous donnent rien à craindre, ni aucune passion à purger, puisque nous les y voyons opprimés et près de périr, sans aucune faute de leur part dont nous puissions nous corriger sur leur exemple.

Le malheur d’un homme fort méchant n’excite ni pitié, ni crainte, parce qu’il n’est pas digne de la première, et que les spectateurs ne sont pas méchants comme lui pour concevoir l’autre à la vue de sa punition ; mais il serait à propos de mettre quelque distinction entre les crimes. Il en est dont les honnêtes gens sont capables par une violence de passion, dont le mauvais succès peut faire effet dans l’âme de l’auditeur. Un honnête homme ne va pas voler au coin d’un bois, ni faire un assassinat de sang-froid ; mais s’il est bien amoureux, il peut faire une supercherie à son rival, il peut s’emporter de colère et tuer dans un premier mouvement, et l’ambition le peut engager dans un crime ou dans