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DU POËME DRAMATIQUE.

C’est assez parlé du sujet de la comédie, et des conditions qui lui sont nécessaires. La vraisemblance en est une dont je parlerai en un autre lieu[1] ; il y a de plus, que les événements en doivent toujours être heureux, ce qui n’est pas une obligation de la tragédie, où nous avons le choix de faire un changement de bonheur en malheur, ou de malheur en bonheur. Cela n’a pas besoin de commentaire ; je viens à la seconde partie du poëme, qui sont les mœurs.

Aristote leur prescrit quatre conditions, qu’elles soient bonnes, convenables, semblables, et égales[2]. Ce sont des termes qu’il a si peu expliqués, qu’il nous laisse grand lieu de douter de ce qu’il veut dire.

Je ne puis comprendre comment on a voulu entendre par ce mot de bonnes, qu’il faut qu’elles soient vertueuses. La plupart des poëmes, tant anciens que modernes, demeureraient en un pitoyable état, si l’on en retranchait tout ce qui s’y rencontre de personnages méchants, ou vicieux, ou tachés de quelque faiblesse qui s’accorde mal avec la vertu. Horace a pris soin de décrire en général les mœurs de chaque âge[3], et leur attribue plus de défauts que de perfections ; et quand il nous prescrit de peindre Médée fière et indomptable, Ixion perfide, Achille emporté de colère, jusqu’à maintenir que les lois ne sont pas faites pour lui, et ne vouloir prendre droit que par les armes[4], il ne nous donne pas de grandes vertus à exprimer. Il faut donc trouver une bonté compatible avec ces sortes de mœurs ; et s’il m’est permis de dire mes conjectures sur ce qu’Aristote nous demande par là, je crois que c’est

  1. Voyez le Discours de la tragedie, p. 81 et suivantes.
  2. Περὶ δὲ τὰ ἤΘη τέτταρά ἐστιν ᾧν δεῖ στοχάζεσΘαι • ἓν μὲν καὶ πρῶτον, ὅπως χρηστὰ ἦ… δεύτερον δὲ τὰ ἁρμόττοντα… τρίτον δὲ τὸ ὅμοιον… τέταρτον δὲ τὸ ὁμαλόν. (Aristote, Poétique, chap. xv, 1.)
  3. Voyez l’Art poétique, v. 158-174.
  4. Ibid., v. 120-124.