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par un simple changement de volonté, mais par un événement qui en fournisse l’occasion. Autrement il n’y aurait pas grand artifice au dénouement d’une pièce, si, après l’avoir soutenue durant quatre actes sur l’autorité d’un père qui n’approuve point les inclinations amoureuses de son fils ou de sa fille, il y consentait tout d’un coup au cinquième, par cette seule raison que c’est le cinquième, et que l’auteur n’oserait en faire six. Il faut un effet considérable qui l’y oblige, comme si l’amant de sa fille lui sauvait la vie en quelque rencontre où il fût prêt d’être assassiné par ses ennemis, ou que par quelque accident inespéré, il fût reconnu pour être de plus grande condition, et mieux dans la fortune qu’il ne paraissait.

Comme il est nécessaire que l’action soit complète, il faut aussi n’ajouter rien au-delà, parce que quand l’effet est arrivé, l’auditeur ne souhaite plus rien et s’ennuie de tout le reste. Ainsi les sentiments de joie qu’ont deux amants qui se voient réunis après de longues traverses doivent être bien courts ; et je ne sais pas quelle grâce a eue chez les Athéniens la contestation de Ménélas et de Teucer pour la sépulture d’Ajax, que Sophocle fait mourir au quatrième acte ; mais je sais bien que de notre temps la dispute du même Ajax et d’Ulysse pour les armes d’Achille après sa mort, lassa fort les oreilles, bien qu’elle partît d’une bonne main. Je ne puis déguiser même que j’ai peine encore à comprendre comment on a pu souffrir le cinquième de Mélite et de la Veuve. On n’y voit les premiers acteurs que réunis ensemble, et ils n’y ont plus d’intérêt qu’à savoir les auteurs de la fausseté ou de la violence qui les a séparés.