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DU POËME DRAMATIQUE.

ni même pour la comédie. Quant à la première, c’est le péril d’un héros qui la constitue, et lorsqu’il en est sorti, l’action est terminée. Bien qu’il aye de l’amour, il n’est point besoin qu’il parle d’épouser sa maîtresse quand la bienséance ne le permet pas ; et il suffit d’en donner l’idée après en avoir levé tous les empêchements, sans lui en faire déterminer le jour. Ce seroit une chose insupportable que Chimène en convînt avec Rodrigue dès le lendemain qu’il a tué son père, et Rodrigue seroit ridicule, s’il faisoit la moindre démonstration de le désirer. Je dis la même chose d’Antiochus. Il ne pourroit dire de douceurs à Rodogune qui ne fussent de mauvaise grâce, dans l’instant que sa mère se vient d’empoisonner à leurs yeux, et meurt dans la rage de n’avoir pu les faire périr avec elle. Pour la comédie, Aristote ne lui impose point d’autre devoir pour conclusion que de rendre amis ceux qui étaient ennemis[1] ; ce qu’il faut entendre un peu plus généralement que les termes ne semblent porter, et l’étendre à la réconciliation de toute sorte de mauvaise intelligence ; comme quand un fils rentre aux bonnes grâces d’un père qu’on a vu en colère contre lui pour ses débauches, ce qui est une fin assez ordinaire aux anciennes comédies ; ou que deux amants, séparés par quelque fourbe qu’on leur a faite, ou par quelque pouvoir dominant, se réunissent par l’éclaircissement de cette fourbe, ou par le consentement de ceux qui y mettaient obstacle ; ce qui arrive presque toujours dans les nôtres, qui n’ont que très rarement une autre fin que des mariages. Nous devons toutefois prendre garde que ce consentement ne vienne pas

  1. ᾽Εκεῖ γὰρ ἂν οί ἔχθιστοι ὦσιν ἐν τῷ μύθῳ, οἷον ᾽Ορέστης καὶ Αἴγισθος, φίλοι γενόμενοι ἐπὶ τελευτῆς ἐξέρχονται. (Aristote, Poétique, chap. xiii, 8.)