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DISCOURS

La première consiste aux sentences et instructions morales qu’on y peut semer presque partout ; mais il en faut user sobrement, les mettre rarement en discours généraux, ou ne les pousser guère loin, surtout quand on fait parler un homme passionné, ou qu’on lui fait répondre par un autre ; car il ne doit avoir non plus de patience pour les entendre, que de quiétude d’esprit pour les concevoir et les dire. Dans les délibérations d’État, où un homme d’importance consulté par un roi s’explique de sens rassis, ces sortes de discours trouvent lieu de plus d’étendue ; mais enfin il est toujours bon de les réduire souvent de la thèse à l’hypothèse ; et j’aime mieux faire dire à un acteur, l’amour vous donne beaucoup d’inquiétudes, que, l’amour donne beaucoup d’inquiétudes aux esprits qu’il possède.

Ce n’est pas que je voulusse entièrement bannir cette dernière façon de s’énoncer sur les maximes de la morale et de la politique. Tous mes poëmes demeureraient bien estropiés, si on en retranchait ce que j’y en ai mêlé ; mais encore un coup, il ne les faut pas pousser loin sans les appliquer au particulier ; autrement c’est un lieu commun, qui ne manque jamais d’ennuyer l’auditeur, parce qu’il fait languir l’action ; et quelque heureusement que réussisse cet étalage de moralités, il faut toujours craindre[1] que ce ne soit un de ces ornements ambitieux qu’Horace nous ordonne de retrancher[2].

J’avouerai toutefois que les discours généraux ont souvent grâce, quand celui qui les prononce et celui qui les écoute ont tous deux l’esprit assez tranquille pour se donner raisonnablement cette patience. Dans le quatrième

  1. Var. (édit. de 1660) : Il faut prendre garde.
  2. :Ambitiosa recidet
    Ornamenta.
     (Art poétique, v. 447.)