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LA VIE ET LES ŒUVRES

dans l’intérieur des familles. Elle y a mis toute la grâce de son esprit, et mieux que cela, tout son cœur maternel. Pour nous distraire de tant d’images sombres qui nous passaient tout à l’heure sous les yeux, écoutons madame Desbordes nous racontant le coucher d’un petit garçon :

Couchez-vous, petit Paul ; il pleut ; c’est nuit, c’est l’heure.
Les loups sont au rempart ; le chien vient d’aboyer.
La cloche a dit : « Dormez ! » Et l’ange gardien pleure,
Quand les enfants si tard font du bruit au foyer. »

— Je ne veux pas toujours aller dormir, moi ! j’aime
À faire étinceler mon sabre aux feux du soir ;
Et je tûrai les loups, je les tûrai moi-même. —
Et le petit méchant, tout nu, vint se rasseoir.

» Au colombier fermé nul pigeon ne roucoule ;
Sous le cygne endormi l’eau du lac bleu s’écoule ;
Paul, trois fois la coureuse a compté ses enfants ;
Son aile les enferme ; et moi, je vous défends.

» La lune qui s’enfuit, toute pâle et fâchée,
Dit : « Quel est cet enfant qui ne dort pas encor ? »
Sur son lit de nuage elle est déjà couchée ;
Au fond d’un cercle noir la voilà qui s’endort.

» Le petit mendiant, perdu seul à cette heure,
Rôdant avec ses pieds las et froids, doux martyr,
Dans la rue isolée où sa misère pleure,
Mon Dieu ! qu’il aimerait un lit pour s’y blottir ! »

Et Paul qui regardait encor sa belle épée,
Se coucha doucement…
Et sa mère bientôt ne fut plus occupée
Qu’à baiser ses yeux clos, par un ange assoupis.