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LA VIE ET LES ŒUVRES

Nous venons te chercher ; veux-tu nous suivre ! » — Oh ! oui.
Je veux vous suivre. On chante… Est-ce fête aujourd’hui ?
― C’est fête ; viens chercher des parures nouvelles. » ―
Et mes bras s’étendaient pour imiter leurs ailes ;
Je m’envolais comme eux ; je riais… j’avais peur !
Dieu parlait. Dieu pour moi montrait une couronne ;
C’est aux enfants chéris que sa bonté la donne ;
Et Dieu me l’a promise ; et Dieu n’est pas trompeur.
J’irai bientôt le voir ; j’irai bientôt… — Ma vie !
Où donc étais-je alors ?… — Attends… je ne sais pas…
Tu pleurais sur la terre où je t’avais suivie. ―
― Tu me laissais pleurer ! — Je t’appelais tout bas…
― Tu voulais me revoir ? — Je ne pouvais, ma mère ;
Dieu ne t’appelait pas. » Un froid saisissement
Passa jusqu’à mon cœur ; et cet être charmant
Calme rêvait encor sa céleste chimère.

Dès lors un mal secret répandit sa pâleur
Sur ce front incliné qui brûlait sous mes larmes.
Je voyais se détruire avant moi tant de charmes,
Comme un frêle bouton s’effeuille avant la fleur ;
Je le voyais… et moi, rebelle, suppliante,
Je disputais un ange à l’immortel séjour.
Après soixante jours de deuil et d’épouvante,
Je criais vers le ciel : « Encore, encor un jour ! »
Vainement. J’épuisais mon âme tout entière.
À ce berceau plaintif j’enchaînai mes douleurs.
Repoussant le sommeil et m’abreuvant de pleurs,
Je criais à la mort : « frappe-moi la première ! »
Vainement. Et la mort, froide dans son courroux,
Irritée à l’espoir qu’elle accourait éteindre,
En moissonnant l’enfant ne daigna pas atteindre
Sa mère expirante à genoux.

Mais c’est assez de ces tableaux de douleur et de deuil, dont rien ne dépasse la vérité navrante.