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LA VIE ET LES ŒUVRES

Avec des cris d’amour nous arrêtions ses pas ;
Sa fuite dans nos bras n’avait plus de passage ;
Elle disait : « Cessez ; j’aimerai la plus sage. »
Et nous rompions sa chaîne et nous parlions plus bas.

Bientôt elle eut douze ans ; j’étais plus jeune encore,
Quand le malheur entra dans notre humble maison.
J’allai lui dire adieu ; sa voix frêle et sonore
Du haut du vieux rempart cria deux fois mon nom.
Elle avait dit : « Déjà !… » Sa surprise timide
À ce Déjà plaintif n’ajouta qu’un baiser.
Hélas ! elle pleurait. Sa joue était humide…
Et je pleurai longtemps sans pouvoir m’apaiser.

Marceline Desbordes dit quelques mots de son lointain et fatal voyage, où elle était

Comme un oiseau perdu loin du nid paternel.
Mais je reviens, je vole et je cherche Marie…
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Parmi tous les témoins de ma première aurore,
Le vieux rempart, les champs semblaient m’aimer encore,
Le soleil d’autrefois brillait sur mon chemin ;
Mais personne, ma sœur, ne me serra la main…
Les jeux avaient cessé pour moi, pauvre et craintive,
Et celle qui pleura de nos premiers adieux,
Qui m’eût tendu les bras dans sa pitié naïve,
Ne vint pas essuyer mes yeux.

J’ai trouvé dans un champ sa nouvelle demeure.
Je l’ai nommée encore en tombant à genoux.
Oh ! ma sœur, à douze ans se peut-il que l’on meure !
Quoi ! moins que sa guirlande elle a vécu pour nous !
L’herbe seule a voilé cette vierge endormie ;

Elle aimait les fleurs autrefois.
Tout est triste au tombeau de notre jeune amie ;
Son chapelet d’ivoire en orne seul la croix.