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LA VIE ET LES ŒUVRES

perdit vite les illusions que le théâtre avait pu lui présenter. Écoutons les beaux vers qu’un jour lui inspira sa dignité blessée, en présence des sévérités, des duretés injustes de l’opinion qui, pour l’artiste dramatique, trop souvent se mêlent aux ovations bruyantes.

Elle s’adresse à une amie, une compagne dans sa vie de théâtre, mais qui, fière de ses charmes, enivrée de ses succès, voit cette vie factice d’un tout autre œil qu’elle-même :


À DÉLIE


De ce lis embaumé qui pour vous vient d’éclore
Couronnez votre front charmant.
Mon front que l’ennui décolore
Doit se pencher sans ornement.

Du sort qui m’enchantait la fatale inconstance
De ma jeunesse a flétri l’espérance ;
Un orage a courbé le rameau délicat ;
Et mes vingt ans passeront sans éclat.

Ce monde où vous régnez me repoussa toujours ;
Il méconnut mon âme à la fois douce et fière ;
Et d’un froid préjugé l’invincible barrière
Au froid isolement condamna mes beaux jours.

L’infortune m’ouvrit le temple de Thalie ;
L’espoir m’y prodigua ses riantes erreurs ;
Mais je sentis parfois couler mes pleurs
Sous le bandeau de la folie.