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jour, il tira un manuscrit de sa poche et dit à Michallet :

— Voulez-vous imprimer ceci (c’était les Caractères) ? Je ne sais si vous y trouverez votre compte : mais, en cas de réussite, le produit sera la dot de ma petite amie.

Le libraire, plus incertain du succès que l’auteur lui-même, entreprit néanmoins l’édition ; mais à peine l’eut-il mise en vente qu’elle fut enlevée et qu’il se vit obligé de réimprimer plusieurs fois de suite ce livre ; il lui valut deux ou trois cent mille francs ; et telle fut la dot imprévue de sa fille qui se maria très brillamment.

En 1667, Milton vendit son Paradis perdu pour dix livres sterling, c’est-à-dire deux cent cinquante francs, et, comme La Bruyère, enrichit son éditeur.

Robinson Crusoé, le livre qui a certainement le plus circulé dans le monde, le livre qui, pour tant de gens, représente à lui seul toute la littérature anglaise, Robinson rapporta un morceau de pain à Daniel Defoë.

Au siècle dernier on inaugura la mode de souscriptions qui fut assez rémunératrice, mais il fallait être Pope ou Voltaire pour que pareille tentative eût quelque chance de succès.

Il n’en est pas moins vrai que jusque vers 1850 nos écrivains ont cédé leurs chefs-d’œuvre à des conditions dérisoires.