Page:Corday - La Vie amoureuse de Diderot.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lentement arracher l’aveu : il manquait de livres et de linge ; il tenait à acquitter ses dettes ; il devait rompre avec une maîtresse qu’il ne voulait pas laisser choir au ruisseau, dont il lui fallait assurer le sort. Brûlant impatient, sûr d’être remboursé par le maître coutelier, le frère Ange lui avançait successivement les sommes nécessaires. Sur quoi, Denis découvrit qu’il n’avait décidément pas la vocation monastique et qu’il ne voulait pas être carme.

Le père paya le moine mais le tança dur : « Vous m’avez appris ce que peut-être je n’aurais jamais su sans vous, c’est qu’un homme d’âge mûr et d’une expérience consommée pouvait se laisser attraper comme un enfant par un écolier. »

On sait que notre morale est devenue très rigoureuse, surtout lorsque nous l’appliquons aux autres. Aussi notre époque a-t-elle très sévèrement jugé cette ruse, que les familiers du philosophe appelaient bonnement un tour de page, une espièglerie. Diderot lui-même n’en rougissait pas. Ne l’a-t-il pas contée à sa fille, Mme de Vandeul ? Elle la rapporte dans les charmants Mémoires qu’elle a consacrés à la vie de son père. On a parfois mis en doute l’authen-