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qui titube et celle qui s’agenouille et qui est la même parfois, à des heures différentes de la journée. L’orgie sacrée se déroule pendant quatorze pages, sur cinquante-neuf strophes de quatre vers. Et le miracle est qu’au milieu de cette sauvagerie éclosent par instants les plus délicieuses effusions mystiques, des stances d’une douceur et d’une beauté incomparables, comme ce fragment du Cantique spirituel à Sainte Anne :

Bâton des aveugles ! Béquille
Des vieilles ! Bras des nouveau-nés !
Mère de madame ta fille !
Parente des abandonnés !

Ô toi qui recouvrais la cendre,
Qui filais comme on fait chez nous,
Quand le soir venait à descendre,
Tenant l’Enfant sur tes genoux !

Des croix profondes sont tes rides,
Tes cheveux sont blancs comme fils.
— Préserve des regards arides
Le berceau de nos petits-fils !

Fais venir et conserve en joie
Ceux à naître et ceux qui sont nés ;
Et verse sans que Dieu te voie,
L’eau de tes yeux sur les damnés !