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même avant d’être de l’académie, & qu’aujourd’hui vous eſtimez très-heureux ceux qui, à leur tour, ſont admis à dîner avec vous. Je ne connois pas ce bonheur-là, je n’en puis juger, mais je vous jure que ſa privation ne me donne aucune aigreur, &, ſans trop la priſer, je puis ſuppoſer que la tête de Rouſſeau pouvoit être auſſi forte & auſſi philoſophique que la mienne.

Vous me diſpenſez ſans doute de répondre aux vingt années de miſère & d’obſcurité. Il a regretté long-temps cette heureuſe obſcurité ; mais, de bonne foi, un homme tel que Rouſſeau étoit-il obſcur, parce qu’il n’étoit connu ni de M. D., ni de ſes convives ? De quel droit donnez-vous, à la médiocrité ſublime & volontaire dans laquelle a vécu & eſt mort ce grand homme, l’odieux nom de miſère ? Pourquoi ſur-tout affirmez-vous qu’elle a influé ſur ſes opinions, lorſqu’elle n’a influé ni ſur ſa conduite ni ſur ſes écrits ? avez-vous jamais rencontré cet homme ſublime sur vos pas ? alloit-il dîner chez MM. D. ? écrivoit-il pour imprimer, & faiſoit-il avec ſes imprimeurs des marchés que l’honnêteté obligeoit de réſilier ? adreſſoit-il des louanges par intérêt ? blâmoit-il pour de l’argent ? empruntoit-il à des gens riches, & leur propoſoit-