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pour ſavoir les apprécier, en n’y voyant rien qui doive être caché ! Le blâme univerſel qu’il a encouru en ſe refusant aux dons qu’on vouloir lui faire, prouve ſeulement que peu de perſonnes ſont en état d’enviſager la fortune comme il le faiſoit. Sachez compoſer avec elle, & boire de l’eau à l’un de vos repas, pour boire votre vin à l’autre, & ce refus ne vous paroîtra plus ni ſi extravagant, ni ſi orgueilleux, ni même ſi héroïque. Joignez à cela la réponse qu’il faiſoit lorſqu’on alloit juſqu’à l’interroger ſur ce point : Je ſuis pauvre, à la vérité ; mais je n’ai pas le cou pelé.

J’ai dit qu’il étoit gai. J’ai vingt fois eu l’occaſion de remarquer en lui cette qualité qui ſeule pouvoit faire le bonheur de ſa vie, mais que la maladie dont il avoit apporté le germe en naiſſant, détruiſit preſqu’entièrement pour le rendre le plus malheureux des hommes. Si je n’enviſageois, dans ce récit, que ma ſatiſfaction perſonnelle, avec quelle complaiſance je m’arrêterois ſur ces anecdotes qui me le retracent dans un état heureux : mais outre que le cadre que j’ai choiſi me force de me reſtreindre, mes lecteurs trouveroient que je les entretiens trop long-temps de puérilités.