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ſuivre les mouvemens de ſon cœur. Il avoit ceſſé, depuis long-temps, de m’arrêter à dîner ; il craignoit que je n’en tiraſſe de fauſſes conſéquences. Je ne vous prie plus à dîner, me dit-il un jour, parce que ma fortune ne me le permet plus. Quelque peu de dépenſe que je fiſſe pour vous, je ſerois forcé de la prendre sur notre néceſſaire. Je voulus lui répondre, il continua : Si je vous fais part de ma ſituation, c’eſt afin que vous n’attribuyez pas le changement de ma conduite à votre égard, à quelque changement dans mes ſentimens. Souriant enſuite : j’aime, me dit-il, à boire à mes repas une certaine doſe de vin pur. J’avois d’abord imaginé de partager également la quantité que je puis me permettre de boire entre mon dîner & mon ſouper, mais il en réſultoit que ſe trouvant trop modique, aucun de mes deux repas ne m’offroit ce qui me convient. J’ai pris mon parti, je bois de l’eau à l’un des deux, & je réſerve la totalité de mon vin pour l’autre.

Combien de choſes découvriront, dans ce dernier trait, mes lecteurs attentifs ! Quelle bonté, quelle candeur & quelle ſupériorité ſur les autres hommes, ſoit pour prendre ſon parti ſur les événement de la fortune, ſoit