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flers à la tour de Constance. L’auteur de cet ouvrage se rappelle très-bien d’avoir entendu, dans les années du régime impérial, le très-aimable et spirituel chevalier de Boufflers, alors vénérable académicien, confirmer de vive voix ses souvenirs de la prison d’Aiguesmortes.

« Je suivais, dit le chevalier de Boufflers, M. de Beauvau dans une reconnaissance qu’il faisait sur les côtes du Languedoc. Nous arrivons à Aiguesmortes, au pied de la Tour de Constance ; nous trouvons à l’entrée un concierge empressé, qui, après nous avoir conduits par des escaliers obscurs et tortueux, nous ouvre à grand bruit une effroyable porte sur laquelle on croyait lire l’inscription du Dante : Lasciate ogni speranza, o voi ch’intrate. Les couleurs me manquent pour peindre l’horreur d’un aspect auquel nos regards étaient si peu accoutumés, tableau hideux et touchant à la fois, où le dégoût ajoutait encore à l’intérêt. Nous voyons une grande salle ronde, privée d’air et de jour ; quatorze femmes y languissaient dans la misère et dans les larmes ; le commandant eut peine à contenir son émotion, et pour la première fois sans doute ces infortunées aperçurent la compassion sur un visage humain. Je les vois encore à cette apparition subite tomber toutes à la fois à ses pieds, les inonder de pleurs, essayer des paroles, ne trouver que des sanglots ; puis, enhardies par nos consolations, nous raconter toutes ensemble leurs communes douleurs. Hélas, tout leur crime était d’avoir été élevées dans la même religion que Henri iv. La plus jeune de ces martyres était âgée de plus de cinquante ans ; elle en avait huit lorsqu’on l’avait arrêtée, allant au prêche avec sa mère, et sa punition durait encore[1]. » Il est presque inutile d’ajouter qu’après cette affreuse découverte, le prince de Beauvau obtint la délivrance de ces prisonnières.


  1. Cette description de M. de Boufflers, sauf quelques erreurs, concerne très-probablement l’infortunée prisonnière qui écrivit notre catalogue, Marie Durand ; elle était en effet la plus jeune des captives, lors de la tournée du commandant ; en 1768, Marie Durand avait cinquante-trois ans ; elle avait été incarcérée, non à l’âge de huit ans, mais à l’âge de quinze ans.