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gue main pour l’impression, et publié ensuite en 1828 et 1829, en six volumes, sous le titre de Cours complet d’Économie politique pratique. Même après la publication de la cinquième édition du Traité, ce nouvel ouvrage devait obtenir un grand et légitime succès. On en a fait depuis deux autres éditions en deux volumes grand in-8.

Les publications importantes n’empêchaient pas l’auteur de se livrer à d’autres travaux ; la Revue encyclopédique insérait ses comptes rendus d’ouvrages, et l’Encyclopédie progressive donnait de lui, dans son premier numéro, l’article Économie politique. Il enrichissait aussi de notes et de commentaires les éditions françaises des Principes de Ricardo et du Cours de Henri Storch.

C’est ainsi que J.-B. Say identifiait sa vie au développement et à la diffusion d’une science à laquelle il s’était voué dès sa jeunesse, et qu’il avait cultivée avec cette persistance et cet amour du vrai qui conduisent à de grands résultats. L’Économie politique lui doit les plus importants progrès qu’elle ait accomplis depuis Adam Smith : d’abord, la mise en ordre de ses principes qui, dans la Richesse des nations, se trouvent exposés sans aucune méthode, sans indications des rapports qui les lient entre eux et qui seuls peuvent en faire un corps de doctrine ou de science ; ensuite, l’établissement de principes qui n’avaient pas encore été posés ou qui n’avaient été que confusément indiqués, notamment ceux relatifs à la production commerciale et à toute la série des phénomènes économiques qu’embrasse la distribution des richesses ; puis la célèbre théorie des débouchés, qui, en démontrant jusqu’à l’évidence que chaque nation est intéressée à la prospérité de toutes les autres, est destinée à exercer la plus heureuse influence sur le sort de l’humanité ; enfin, la théorie des produits immatériels, ou plutôt la démonstration que les produits de toute nature consistent dans une utilité nouvelle, ou dans une addition d’utilité, donnée par le travail, soit aux choses, soit aux hommes eux-mêmes ; qu’ainsi tous les travaux utiles sont productifs, et qu’à ce titre tous rentrent dans le domaine de l’Économie politique. J.-B. Say est aussi le premier qui ail nettement signalé cette vérité, que les progrès industriels consistent essentiellement dans l’accroissement du concours, dans l’œuvre productive des agents naturels, et surtout des forces naturelles qui sont à la disposition de tous ; ce concours, une fois acquis ou agrandi, augmente la fécondité de la production sans exiger plus de travail humain, et le surcroit d’utilité qui en résulte tombe dans le domaine commun. Mais l’un des principaux titres de J.-B. Say à la reconnaissance de la postérité consiste à avoir su présenter les vérités économiques avec assez d’art et de clarté pour que tout homme doué d’un sens droit puisse les saisir dans leur ensemble et dans leurs détails. C’est à ce précieux mérite que ses ouvrages doivent la popularité plus qu’européenne dont ils jouissent, et l’honneur de servir de base à l’enseignement de l’Économie politique partout où ce salutaire enseignement est sérieusement pratiqué.

Pendant que sa réputation grandissait au dehors, l’auteur se renfermait dans une vie modeste et se tenait à l’écart, entouré de sa famille et d’un petit cercle d’amis. C’est la qu’il recevait une fois par semaine quelques hommes distingués, et les Économistes étrangers, dont aucun ne manquait de venir lui rendre hommage. La haute portée de son esprit se révélait dans ces conversations intimes qu’il savait animer par des saillies originales et une variété de connaissances inépuisable.

Après la révolution de 1830, il fut aussi surpris qu’affligé de voir l’attention publique absorbée par l’apparition subite d’une foule de prétendus réformateurs qui, ressuscitant de vieilles erreurs ou puisant dans leur imagination malade des systèmes plus ou moins extravagants, n’aspiraient pas à moins qu’à refondre l’homme et les sociétés dans de nouveaux moules, sans tenir aucun compte de l’indestructible nature des couses et des vérités que son étude avait mises en lumière. Ces folles prétentions de l’ignorance vaniteuse devaient produire sur les Économistes instruits le même effet que produirait sur les astronomes ou les chimistes modernes la résurrection de l’astrologie ou de l’alchimie : J.-B. Say ne crut pas devoir se commettre avec des fous ; il garda le silence le plus absolu. Il ne se laissait point étourdir par le fracas, et ce vain bruit d’utopies expirait à sa porte. S’il travaillait plu efficacement qu’aucun autre à l’amélioration du sort des classes pauvres, c’était sans rechercher leur faveur ni craindre leur disgrâce. Il disait des vérités austères aux peuples comme aux gouvernements avec l’impartialité d’un philosophe uniquement occupé des intérêts de la science et de l’humanité.

Sa santé était, du reste, depuis longtemps ébranlée ; son tempérament fort et nerveux semblait souffrir du travail sédentaire du cabinet dont il s’était fait esclave, et il était devenu sujet, dans ses dernières années, à des attaques d’apoplexie nerveuse qui l’affaiblissaient de plus en plus et lui faisaient pressentir une fin prochaine. Une perte cruelle vint lui porter un coup fatal, qu’il supporta avec courage, mais auquel il ne pouvait longtemps survivre : madame Say mourut le 10 janvier 1830. Dès lors la santé de J.-B. Say alla toujours en déclinant. On avait cherche à le distraire par un voyage, et il était en visite chez son frère, à Nantes, lorsque la révolution de juillet éclata. Nommé peu de temps après membre du conseil général du département de la Seine, il se vit contraint par la fatigue de se démettre de ses fonctions, et il lui fallut de grands efforts et une grande énergie de volonté pour persister à faire son cours au Collège de France. Le la novembre 1832, il fut frappé d’une nouvelle attaque, qui devait être la dernière ; après une agonie de quatorze heures, il expira dans les bras de ses enfants. Il avait alors soixante-six ans, et laissait deux ûls et deux Ailes. L’aînée de ses filles avait épousé Charles Comte, auteur du Censeur européen, du Traité de législation, etc., et qu’une grande conformité de vues avait rapproché de notre célèbre Économiste, auquel il ne devait survivre que de bien peu d’années.

On a remarqué qu’en général les hommes qui se sont livrés à une étude approfondie et con-