Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/741

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus dans un sens favorable à la liberté. Par suite de la demande persistante de l’abbé de Foëre, membre de ta chambre des représentants, une enquête a été ouverte en 1840 sur les questions Commerciales et industrielles. Après deux ans de durée, il en est résulté la loi des droits différentiels, qui a été promulguée en 1844, et est devenue une entrave pour le commerce belge, un grand embarras pour le gouvernement, et que l’on travaille depuis lors à démolir pièce à pièce. Les procès-verbaux de cette enquête forment deux gros volumes.

Beaucoup de rapports publiés par le gouvernement français sur divers sujets peuvent encore être considérés comme donnant les résultats de véritables enquêtes, et l’on peut citer, pour exemple, les procès-verbaux de la commission coloniale, où tous les faits relatifs à la grande question de l’esclavage ont été clairement exposés.

Dans les trois années qui ont suivi la révolution de 1848, on est entré plus largement dans la voie des enquêtes parlementaires, et plusieurs questions ont été ainsi élucidées. Il y a eu une enquête sur la marine, une sur les boissons, une autre sur les bestiaux et le commerce de la boucherie. Le conseil d’État y a eu aussi fréquemment recours, et a fait imprimer, entre autres, une excellente enquête sur les tarifs des chemins de fer, une sur le crédit foncier, une sur l’institution des monts-de-piété, une autre sur le système du contrôle des matières d’or et d’argent.

Au plus fort de la crise commerciale et industrielle de 1848, au milieu d’événements politiques graves, l’assemblée nationale constituante a rendu le 25 mai un décret ordonnant : qu’une enquête sur la question du travail agricole et industriel serait ouverte sur toute l’étendue du territoire de la République : que cette enquête serait organisée dans chaque cheflieu de canton sous la présidence du juge de paix ; que le juge de paix serait assisté d’une commission composée d’un nombre égal d’ouvriers et de patrons ; que chaque spécialité d’industrie, de culture et de travail serait représentée dans cette commission par un délégué ouvrier ou par un délégué patron, qui serait élu par ses pairs, à la pluralité des suffrages, dans des réunions formées spontanément.

De semblables prescriptions montrent suffisamment combien on se laissait égarer par les préoccupations de l’époque. On voulait, par égard pour la démocratie, faire entrer partout l’élément ouvrier, et l’on se laissait aller à une véritable confusion en plaçant dans la commission chargée de poser les questions et d’apprécier les réponses, ceux-là mêmes qu’il s’agissait d’interroger. D’un autre côté, les juges de paix pouvaient manquer des connaissances générales, économiques ou techniques, nécessaires pour bien conduire une semblable enquête. Mais, ce qui devait surtout la faire échouer, c’était le programme même des questions indiquées. Loin de porter directement sur les faits locaux et sur les données statistiques, les questions avaient toutes une tendance de généralité qui devait provoquer des dissertations de la part de ceux auxquels elles étaient posées, plutôt que des réponses catégoriques. C’est ainsi qu’on demandait : « Quels seraient les moyens d’augmenter la production et d’assurer le développement progressif de la consommation ? » Ce qui aurait permis à chacun de répondre par un cours complet d’économie politique.

En prenant de tels moyens, on ne pouvait arriver à aucun résultat réel. Dans un rapport présenté par M. Lefebvre-Duruflé, le 18 décembre 1850, à l’assemblée nationale, on voit que 2177 cantons, sur 2847, dont se compose la France, ont envoyé des procès-verbaux d’enquête ; mais que de l’ensemble de ces documents il serait difficile d’extraire aucune donnée statistique précise. Le décret primitif avait réservé pour le comité du travail de l’assemblée, le soin de faire l’enquête pour le département de la Seine ; mais aucune suite n’a été donnée à cette prescription, et l’on a reculé devant le défaut de moyens d’action, et devant l’impossibilité d’accomplir un semblable travail dans le délai de deux mois qui avait été fixé.

Ces circonstances, cependant, ont déterminé la chambre de commerce de Paris à donner suite à un projet dont elle s’était souvent occupée, celui de faire une enquête minutieuse, qui lui permît de tracer un tableau complet de l’industrie manufacturière, dans toutes ses branches, dans la ville de Paris. Ce travail a été suivi avec persévérance, et les résultats en ont été publiés à la fin de 1851, dans un volume grand in-4o, de 1400 pages.

Pour éviter de laisser s’égarer dans leurs dépositions les personnes même les plus compétentes dans chaque industrie, la chambre de commerce s’est décidée à poser les mêmes questions à tout individu étant par lui-même entrepreneur d’un travail industriel, c’est-à-dire faisant subir une transformation quelconque à un produit ou à une denrée, entre le premier achat et la revente ; et pour qu’aucun de ces entrepreneurs d’industrie-ne fût laissé en dehors, elle a fait visiter successivement chacune des maisons de Paris ; il y en a plus de trente-deux mille. Au lieu d’appeler les personnes à interroger devant la commission d’enquête, c’est au domicile de chacune d’elles qu’un recenseur est allé recevoir les réponses. Beaucoup de questions devaient être répondues par des chiffres, comme lorsque l’on demandait le nombre des ouvriers, hommes, femmes, enfants, apprentis, ou le montant des affaires faites en 1847 et en 1848. Des bulletins avaient donc été imprimés à l’avance, et les recenseurs devaient inscrire les réponses en regard de chaque question. 67,111 bulletins individuels ont été ainsi recueillis et utilisés ; l’on a pu se rendre le compte le plus exact de l’importance et du produit de l’industrie pour un nombre de 407,346 travailleurs, comprenant les entrepreneurs pour leur compte et les ouvriers des deux sexes et de tout âge.

On comprend que, pour présenter les résultats d’une semblable enquête, on ne se soit pas arrêté à la simple publication de procès-verbaux qui auraient donné, séparés les uns des autres, des chiffres qui ne peuvent avoir d’importance que réunis. Même pour ce qui concernait les appréciations morales, les réponses faites à une même question posée successivement à soixante-dix mille personnes eussent amené de fastidieuses répétitions, et le travail de la commission a été de les réunir et de les résumer en des résultats généraux. Le