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tions de ce genre dominent. Mais les avis, les préceptes, les règles à suivre s’y rencontrent aussi très fréquemment. L’art s’y mêle donc constamment avec la science. Mais c’est bien autre chose dans la foule de ces traités spéciaux, ou de ces dissertations particulières, qui ont pour objet de résoudre certaines questions relatives à l’industrie, au commerce, ou à l’administration économique des États ; questions d’impôt, de crédit, de finance, de commerce extérieur, etc., etc. Là, C’est toujours l’art qui domine. Les conseils, les préceptes, les règles à suivre, toutes ces choses qui appartiennent essentiellement au domaine de l’art s’y pressent les unes sur les autres, tandis que les observations vraiment scientifiques y apparaissent à peine de loin en loin. Et cependant tout cela porte Indifféremment le nom d’Économie politique. Tant il est vrai que ce nom appartient encore aujourd’hui à deux ordres de travaux très différents.

Nous sommes loin de nous plaindre ni de trouver étrange qu’on cherche à tirer des vérités scientifiques, une fois bien observées et bien déduites, des règles applicables à la conduite des affaires humaines. Il n’est pas bon que les vérités scientifiques demeurent stériles, et la seule manière de les utiliser, c’est d’en déduire un art. Il y a, nous l’avons déjà dit, entre la science et l’art des liens étroits de parenté. La science prête à l’art ses lumières, elle rectifie ses procédés, elle éclaire et dirige sa marche. Sans le secours de la science, l’art ne peut marcher qu’à tâtons, en trébuchant à chaque pas. D’un autre côté, c’est l’art qui met en valeur les vérités que la science a découvertes, et qui sans lui demeureraient stériles. Il est presque toujours aussi le principal mobile de ses travaux. L’homme n’étudie que rarement pour le seul plaisir de connaître ; il veut en général un but d’utilité à ses travaux, à ses recherches, et ce but, c’est par l’art seul qu’il le remplit.

Avec tout cela, qui ne voit à combien de titres ces deux choses diffèrent ? Entre une vérité découverte par l’observation, et une règle déduite de cette vérité en vue d’une application quelconque, la distance est grande : l’une appartient a la nature, à Dieu ; l’homme ne fait que la découvrir et la constater ; l’autre est le fait même de l’homme, et il y reste toujours quelque chose de lui. Tout est absolu dans les données scientifiques ; elles sont vraies ou fausses, il n’y a pas de milieu ; c’est-à-dire que le savant a bien ou mal observé, bien ou mal vu ce qu’il rapporte. Il existe, il est vrai, des données incomplètes, exactes d’un côté, inexactes de l’autre ; mais alors même le côté vrai est vrai, le côté faux est faux, sans qu’on puisse admettre de tempérament ni de milieu. Au contraire tout est relatif dans les règles ou les procédés de l’art. Comme il s’y mêle toujours quelque chose de l’homme, ils ne sauraient prétendre à l’infaillibilité ; ils sont donc toujours susceptibles de plus ou de moins entre ces deux limites extrêmes : le vice radical et la perfection absolue. Enfin les vérités scientifiques sont immuables, comme les lois de la nature dont elles ne sont que la révélation ; tandis que les prescriptions de l’art sont variables, soit en raison des besoins qu’elles ont en vue, soit en raison des vue » changeantes des applicateurs.

Il y a d’autant plus lieu d’insister sur la distinction que nous venons d’admettre, que si la science et l’art ont souvent un grand nombre de points de contact, il s’en faut de beaucoup que leurs rayons et leurs circonférences soient Identiques. Les données fournies par une science peuvent quelquefois être utilisées par bien des arts différents. Ainsi la géométrie, ou la science des rapports de l’étendue, éclaire ou dirige les travaux de l’arpenteur, de l’ingénieur, de l’artilleur, du navigateur, du constructeur de vaisseaux, de l’architecte, etc. La chimie vient en aide au pharmacien comme au teinturier, et à un grand nombre de professions industrielles. Qui pourrait dire aussi combien d’arts différents mettent à profit les données générales de la physique ? Réciproquement, un art peut s’éclairer des données fournies par plusieurs sciences ; et c’est ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, que la médecine, ou l’art de guérir, consulte à la fois les données de l’anatomie, de la physiologie, de la chimie, de la physique, de la botanique, etc.

À tous égards donc, il faut distinguer l’art de la science, et marquer nettement la ligne qui les sépare. C’est ce qu’on a bien su faire dans certaines branches des connaissances humaines, ou dans certaines directions de nos travaux. Les mathématiciens, par exemple, distinguent avec soin les mathématiques pures, ou la science proprement dite, de ses diverses applications. Autant en font les physiciens et les chimistes. Et la distinction n’existe pas seulement dans les livres, elle se traduit même dans l’enseignement, où l’étude de la science et celle des arts qui en relèvent ont des sièges différents. C’est ainsi que l’École polytechnique est, s’il est permis de le dire, le sanctuaire de la science pure. C’est au sortir de là seulement que les élèves vont, chacun dans sa direction, étudier l’art auquel ils devront appliquer les notions scientifiques qu’ils ont acquises.

Ce qu’on a si bien fait dans tant d’autres directions de nos études, il serait à souhaiter qu’on l’eût fait aussi dans l’ordre des études et des travaux économiques. Mais, il faut bien le reconnaître, il n’en est pas ainsi jusqu’à présent. Les travaux d’art et les études scientifiques y demeurent encore, sinon entièrement mêlés, au moins confondus sous une dénomination commune. On a essayé quelquefois, à ce qu’il semble, d’en faire la séparation, en donnant, par exemple, à certains travaux qui appartiennent spécialement à l’art, le nom d’Économie publique, pour les distinguer des autres. Mais ces tentatives, mal dirigées et faites le plus souvent sans une vue bien nette du résultat à obtenir, n’ont pas abouti jusqu’à présent, en sorte qu’à l’heure qu’il est, dans l’ordre des études économiques, l’art et la science demeurent encore mêlés et confondus[1].

  1. On peut s’en apercevoir dans ce Dictionnaire même, on les travaux des deux genres se croisent à chaque instant. Dans une publication comme celle-ci, nous croyons que ce mélange est à sa place : il n’en serait peut-être pas de même dans un traité. Dans tous les cas, les travaux de genres divers pourraient et devraient porter des noms différents.