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Selon M. Storch : « L’économie politique.est la science des lois naturelles qui déterminent la prospérité des nations, c’est-à-dire leur richesse et leur civilisation. » Plus acceptable que celle de M. de Sismondi, en ce qu’elle donne au moins l’idée d’une science, cette définition est encore bien imparfaite. Les lois naturelles qui déterminent la prospérité des nations présentent une idée, selon nous, trop complexe, et dans tous les cas bien vague ; et, quant à la civilisation, elle embrasse certainement, dans son expression générale, des choses dont l’économiste, en tant qu’économiste, n’a pas à s’occuper.

On ne trouve dans Malthus ni dans Ricardo rien qu’on puisse considérer comme une définition précise de l’économie politique. On peut en donner pour le dernier cette raison, que, dans ses Principes de l’économie politique et de l’impôt, il n’a pas embrassé la science dans son ensemble, s’étant borné, comme il l’annonce lui-même dans sa préface, à déterminer les lois qui règlent la distribution des revenus entre les diverses classes de la société. On peut cependant augurer de ces paroles mêmes que, s’il avait eu à définir 1 la science d’une manière générale, il l’aurait définie à peu près comme l’avait fait J.-B. Say dans son Traité.

Quant à M. Rossi, après avoir discuté et repoussé tour à tour toutes les définitions données avant lui, il n’en donne, absolument parlant, aucune autre à la place. Il se borne à dire qu’il y a un certain ordre de phénomènes relatifs à la richesse qui ne se confondent avec ceux d’aucun autre ordre, et que c’est là précisément ce que la science économique doit étudier. L’économie politique est donc purement et simplement à ses yeux, comme il le dit expressément ailleurs[1], la science de la richesse. Aussi pense-t-il que, sauf l’étrangeté des mots, on pourrait appeler les économistes chrysologues, chrématisticiens ou divitiaires, sans qu’ils y trouvassent rien à redire.

Nous pouvons borner là cette revue. Elle suffit pour montrer combien la définition de la science économique, ou la formule générale qui l’embrasse tout entière, est encore loin d’être définitivement fixée.

Maintenant, faut-il rougir de cette incertitude, comme a paru le croire M. Rossi ? Faut-il en gémir, comme l’ont fait M. Arrivabene et quelques autres écrivains ? Nous ne le pensons pas. Une science ne dépend pas de la définition qu’on en donne ; elle ne se règle pas sur cette formule arbitraire, qui peut être plus ou moins heureuse, plus ou moins exacte ; au contraire, c’est la formule qui doit venir après coup se modeler pour ainsi dire sur la science même telle qu’elle existe. Tant pis pour les écrivains qui cultivent une certaine branche des connaissances humaines, s’ils n’ont pas su encore en saisir la donnée générale, ît revêtir cette donnée d’une expression heureuse ; nais cela n’altère en rien le fond des vérités qu’ils Mit à mettre au jour.

« Une science, dit J.-B. Say, ne fait de véritables progrès que lorsqu’on est parvenu à bien déterminer le champ où peuvent s’étendre ses recherches et l’objet qu’elles doivent se proposer[2]. » Il y a sans doute un côté vrai dans cette assertion. Oui, il est bon, peut-être même nécessaire, que l’objet d’une science et le cadre qu’elle embrasse soient convenablement déterminés ; mais il est pas absolument nécessaire que cette détermination résulte des définitions hasardées par les auteurs ; il suffit qu’elle résulte de la nature même de leurs travaux. Or il se peut très bien que la nature de ces travaux soit au fond la même pour tous, tandis que les définitions diffèrent ; chacun de ces auteurs ayant été amené, par une sorte de sentiment instinctif, à se renfermer dans un certain ordre de phénomènes, sans pouvoir ensuite se rendre compte à lui-même de l’objet précis de ses recherches, ni mesurer exactement le champ qu’il vient de parcourir. Et c’est, en effet, ce qui arrive. On vient de voir combien, en ce qui touche à la définition de la science, les auteurs que nous avons cités s’écartent les uns des autres, et cependant le fond de leurs travaux est toujours le même. Qui ne sait qu’il en est ainsi par rapport à Adam Smith et J.-B. Say ? Il n’en est pas autrement pour tous les autres, malgré quelques légères différences en plus ou en moins dans l’étendue du cercle qu’ils embrassent.

Autre chose est sentir ou rendre, concevoir ou définir. S’il est quelquefois fort difficile de revêtir une seule pensée d’une expression juste ou d’une formule convenable, la difficulté est bien plus grande quand il s’agit de renfermer dans une seule formule tout un vaste ensemble d’idées et de faits. Il n’est pas étonnant que beaucoup d’écrivains échouent dans cette tâche, en ce sens que les définitions qu’ils donnent ne soient après tout que des traductions plus ou moins infidèles de leurs propres conceptions. J.-B. Say avoue qu’il en est ainsi par rapport à lui-même, puisqu’il reconnaît que, son Traité a franchi de toutes parts, s’il est permis de s’exprimer ainsi, les limites tracées par sa définition. Et cependant il est peut-être de tous les économistes celui qui soit demeuré le plus fidèle à la formule qu’il avait adoptée. Il y aurait bien plus à reprendre à cet égard dans Adam Smith et dans M. de Sismondi. À voir, par exemple, la manière dont ce dernier définit la science, on croirait qu’il va se borner, comme l’avait fait J.-J. Rousseau, à tracer les règles que les gouvernements doivent suivre par rapport aux intérêts matériels des peuples ; et cependant il s’occupe, comme, l’ont fait tous les économistes depuis Quesnay, Turgot et Adam Smith, de l’échange, de la division du travail, de l’accumulation et de l’épargne, de la production et de la distribution des richesses, des lois qui règlent la valeur des choses, de celles qui déterminent le taux des salaires, le taux des profits, etc., etc. ; toutes choses dans lesquelles les gouvernements n’ont rien ou presque rien avoir. Tant il est vrai que sa définition n’est qu’une erreur, et une erreur sans conséquence ; une formule mal choisie mais vaine, et qui n’influe en rien sur le caractère réel de ses travaux.

Il serait pourtant fort désirable, nous en convenons, qu’on trouvât pour l’économie politique

  1. Cours de 1836-37, 2e leçon.
  2. Traité. Discours préliminaire.