Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 1.djvu/680

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vrages. Disons mieux : il n’y a pas une seule de ces définitions à laquelle son auteur soit demeuré lui-même fidèle dans la manière dont il a conçu et traité son sujet. C’est ce qui a fait dire à quelques-uns des derniers venus dans la science que l’économie politique était encore à définir.

« Dût-il en rougir pour la science, dit M. Rossi, l’économiste doit avouer que la première des questions à examiner est encore celle-ci : Qu’est-ce que l’économie politique, quels en sont l’objet, l’étendue, les limites ?[1] » Il n’y a point à rougir, selon nous, d’être encore obligé de poser une telle question, quand on se rend compte des difficultés naturelles qu’elle présente ; mais il faut convenir avec M. Rossi qu’elle attend encore une solution. Un écrivain belge, M. Arrivabene, a signalé cette vérité, dans une introduction aux premières leçons de M. Senior, en termes bien plus pressants que ceux dont se sert M. Rossi, déplorant amèrement le vague, l’obscurité, l’incohérence, l’insuffisance surtout des définitions hasardées par les maîtres de la science, et appelant à grands cris une formule plus satisfaisante et plus nette. Pour mettre, d’ailleurs, le fait en évidence, nous allons rapporter quelques-unes des définitions fournies par ceux des économistes auxquels on accorde communément le plus d’autorité.

Adam Smith a été généralement très sobre de définitions. Il en donne cependant ça et là quelques-unes, et voici notamment comment il caractérise ou définit, dans le cours de son ouvrage, la science même dont il s’occupe : « L’économie politique, considérée comme une branche de la science d’un homme d’État ou d’un législateur, se propose deux objets distincts : 1o de procurer au peuple un bon revenu ou une subsistance abondante, ou, pour mieux dire, de le mettre en état de se les procurer lui-même ; et 2o de pourvoir à ce que l’État ou la communauté ait un revenu suffisant pour les charges publiques. Elle se propose d’enrichir en même temps le peuple et le souverain[2]. » Sans discuter sur le mérite relatif de cette explication, nous ferons remarquer seulement qu’elle se rapporte beaucoup moins à une science qu’à un art, quoique l’idée d’une science y soit mise en avant et que le mot soit prononcé. C’est, en effet, une série de préceptes que l’auteur semble annoncer, ce qui constituerait bien un art, et non point un exposé ou une explication de certains phénomènes naturels, ce qui peut seul constituer une science. Dans le fond, sinon dans la forme, la définition d’Adam Smith se rapproche assez de celle qui a été donnée par J.-J. Rousseau, au mot Économie politique, dans l’Encyclopédie du dix-huitième siècle. On sait cependant à quel point Adam Smith s’est éloigné de J.-J. Rousseau, non dans les conclusions seulement, mais surtout dans la manière d’envisager son sujet. Sa définition diffère, au contraire, profondément, on va le voir, de celle de J.-B. Say, qui a marché sur ses traces et envisagé la science comme il l’avait fait lui-même.

C’est en tête de son Traité, et comme titre même à ce Traité, que J.-B. Say a donné sa principale définition de l’économie politique, celle qu’on reproduit le plus souvent. Traité d’économie politique ou simple exposition de la manière dont se forment, se distribuent et se consomment les richesses. Quoi qu’on puisse penser de cette formule, elle est au moins fort supérieure à celle d’Adam Smith, en cela surtout qu’elle donne l’idée d’une véritable science, et non plus seulement d’un art, puisqu’elle annonce un exposé ou une explication de certains phénomènes offerts à notre observation. Mais cette formule est-elle vraiment satisfaisante et sera-t-elle définitive ? Assurément non. On peut discuter encore sur la nature des phénomènes qu’elle offre aux études de l’économiste, aussi bien que sur l’étendue du champ qu’elle ouvre à son exploration. On le peut d’autant mieux que, sur ce dernier point surtout, J.-B. Say n’est pas demeuré toujours d’accord avec lui-même. Dans la formule qu’on vient devoir, il semble renfermer l’économiste dans l’étude des faits matériels relatifs à la production et à la distribution des richesses ; mais ailleurs, dans son Cours notamment, il fait rentrer dans son domaine tous les faits relatifs à la vie sociale. « L’objet de l’économie politique, dit-il, semble avoir été restreint jusqu’ici à la connaissance des lois qui président à la formation, à la distribution et à la consommation des richesses. C’est ainsi que moi-même je l’ai considérée dans mon Traité d Économie politique. » « Cependant, ajoute-t-il, on peut voir dans cet ouvrage même que cette science tient à tout dans la société, qu’elle se trouve embrasser le système social tout entier[3]. »

On pourrait ajouter que, dans d’autres parties de ses ouvrages, J.-B. Say définit encore l’économie politique tout autrement qu’il ne l’a fait dans son Traité et dans son Cours. On a cité, par exemple, la phrase suivante empruntée aux notes manuscrites qu’il a laissées après sa mort. « L’économie politique est la science des intérêts de la société, et comme toutes les sciences véritables, elle est fondée sur l’expérience, dont les résultats, groupés et rangés méthodiquement, sont devenus des principes, des vérités générales. » Mais il est évident que ceci est moins une définition qu’une qualification, de la nature de celles que tout écrivain a le droit de semer dans le cours de ses ouvrages, pour faire ressortir la grandeur et l’importance du sujet dont il s’occupe.

Selon M. de Sismondi : « Le bien-être physique de l’homme, autant qu’il peut être l’ouvrage de son gouvernement, est l’objet de l’économie politique, w Nous voici bien loin de la définition première de J.-B. Say. D’abord, nous sortons de la science et nous retombons dans l’art ; car, selon cette formule, l’économie politique ne doit être qu’une série de préceptes destinés à édifier les gouvernements sur la manière d’assurer le bienêtre physique des hommes : c’est donc un art, une branche de l’art de gouverner. Très restreint à un certain point de vue, puisque les gouvernements seuls peuvent l’exercer, cet art est, à d’autres égards, sans limites assignables ; car quels sont les actes d’un gouvernement qui ne se rapportent plus ou moins au bien-être physique de l’homme.

  1. Deuxième leçon, Cours de 1836-37.
  2. Richesse des nations, liv. IV, introduction.
  3. Cours d’Écon. polit., p. 4.